En 1956, Louis Aragon publie son autobiographie, rédigée sous la forme d’un long poème et intitulée Le Roman inachevé. En 1918, alors âgé de vingt ans, il s’était engagé sur le front en tant que médecin auxiliaire : il revient sur cet épisode.
Analyse du texte :
Ce poème évoque les soldats en partance pour le front lors de la première guerre mondiale. En effet, Aragon, alors étudiant en médecine avait été mobilisé comme brancardier durant la première guerre mondiale. Il restera marqué à vie par cette expérience du Front.
Dans les deux premières strophes, le narrateur-poète s'adresse à des soldats, avec la familiarité et l'affection d'une vieille connaissance «
Tu n'en reviendras pas, toi qui courait les filles...». Lui qui était brancardier sur le front, a été témoin de leur mort et de leur blessure et connaît leur destin (d'où l'usage du futur). Ces deux strophes évoquent les morts violentes qui attendent les soldats: «jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu», « qu'un obus a coupé par le travers en deux». Il fait référence également aux blessés défigurés qu'on a appelé à la fin de la guerre «Les gueules cassées»: «Tu
survivras longtemps sans visage sans yeux».
Dans les deux strophes suivantes, le poète évoque le départ du train vers le front. Il s'agit d'un «mauvais rêve», la destination est inconnue «on part dieu sait pour où» et pourtant, il règne dans le train une douce atmosphère de fraternité; le quotidien des soldats se poursuit tranquillement pendant que le train roule vers le feu et la mort: «Les soldats assoupis que ta danse secoue/ Laissent pencher leur front et fléchissent le cou/ Cela sent le tabac la laine et la sueur».
On notera l'allitération en S [s] et l'assonance en OU [u] qui renforce cette ambiance feutrée et intime, cette impression de douceur et de calme.
Les deux dernières strophes du poème insistent sur la destinée des soldats: la mort qui les attend au front. Ainsi, «destinées» rime avec «condamnées». Le poète en fait des «fiancés de la terre», métaphore qui évoque que la seule étreinte qui les attend est celle de la mort et de la terre qui les engloutira.
La dernière strophe, avec l'anaphore de «déjà», scande le sort promis aux soldats.
Dans ce train, leur existence est déjà perdue, ils sont de la chair à canon, des futurs «morts pour la France» dont les noms seront gravés après la guerre sur les monuments aux morts qu'on trouve sur chaque place de village: «Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit,/ Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places».
Le poème se conclut sur cette cruelle restriction: «Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri».
Ce poème dénonce les atrocités du front, la violence subie par les soldats et la mort presque certaine qui les attend. Le poète s'adresse aux soldats en prévoyant leur destinée: la mort. Pourtant se dégage de ce poème une certaine douceur: celle d'un
attachement humain aux soldats qui mènent leur vie simplement en attendant leur atroce destin.