Chacun sait se remémorer particulièrement quelques uns des moments-clés de sa vie. Sans nul doute, les élèves du « voyage des deux infinis » 2019 imprimeront définitivement dans leur mémoire au moins l’un des moments exceptionnels qu’ils ont vécu en ce mois de mai.
Ce pourrait être par exemple leur entrée dans la salle de contrôle ou dans l’un des tunnels de l’interféromètre Virgo, où l’on détecte désormais chaque semaine, quasi-simultanément avec les deux interféromètres américains de la collaboration Ligo, des signaux qui semblent être autant d’ondes gravitationnelles émises lors de la collision de trous noirs ou d’étoiles à neutrons dans les confins de l’univers, une prouesse technique et intrumentale absolument inouie et impensable il y a quelques années encore. Merci à Nicolas Arnaud, chercheur au LAL-Orsay (IN2P3-CNRS) et détaché à l’Observatoire Gravitationnel Européen, et par ailleurs responsable pédagogique de l’opération Cosmos à l’école, pour cette visite extraordinaire et cette conférence qui ne l’était pas moins, au coeur de la physique la plus actuelle.
Ce pourrait être aussi cette magnifique rencontre avec les chercheurs de l’Institut National de Physique Nucléaire de Pise, en quête d’une interaction que pourrait avoir la matière noire, d’oigine encore inconnue, avec la matière ordinaire d’un gaz comme l’argon ou le xénon, et qui développent pour cela en salle blanche des détecteurs d’une ingéniosité et d’une technicité quasi-irréelles. Merci à Giovanni Calderini, Giovanni Batignani, Filippo Bosi et Eugenio Paoloni d’avoir bien voulu consacré à cette visite un peu de leur temps et partagé, avec simplicité et modestie, tout leur enthousiasme pour leur recherche.
Ce sera peut-être aussi cette visite de la fabrique d’antimatière présente au CERN, absolument unique au monde, et le parcours le long des décélérateurs AD et ELENA, qui servent à ralentir le faisceau d’antiprotons formé en amont, avant de le refroidir et former des atomes d’antihydrogène pratiquement immobiles, dont on cherche alors à étudier les caractéristiques (spectre électromagnétique, gravité) afin de déceler une éventuelle asymétrie entre la matière et l’antimatière, autre que la charge électrique, et qui serait responsable de la quasi-absence de cette dernière dans notre univers. Merci en particulier à Mario Campanelli pour cette visite, doublée de celle du centre de calcul et des explications concernant « la grille », cette structure composée de plusieurs centaines de milliers d’ordinateurs disséminés dans le monde qui reçoivent les données du CERN.
Ce sera très certainement cette descente à 100 mètres sous la surface pour voir de très près le détecteur ATLAS, un des détecteurs de physique les plus gigantesques et perfectionnés au monde, placé sur le Large Hadron Collider (LHC) du CERN, la machine la plus extraordinaire jamais construite par l’Homme pour comprendre les origines de la matière, et, en particulier, montrer l’existence du boson de Higgs, particule associé au champ du même nom qui donne leur masse à toutes les autres particules qui interagissent avec. D’immenses remerciements doivent être adressés à Isabelle Wingerter-Seez et Marco Delmastro pour ces descentes par petits groupes dans les antres de la physique des particules, et à Pascal Pralavorio pour toutes les explications données en surface et dans le centre de contrôle du détecteur.
Et que dire des explications limpides de Simone Gilardoni concernant le fonctionnement de cet accélérateur unique au monde, le LHC : clignez des yeux et chacun des paquets de protons du faisceau, tounant en sens inverse, aura déjà fait 1000 tours de cet anneau de 27 km de circonférence, dans lequel règne le vide le plus parfait qui existe dans l’univers ! Ceci n’est aussi possible que grâce à l’utilisation d’aimants supraconducteurs à des températures extrèmements faibles (1,8 degrés au dessus du zéro absolu, soit environ -271 °C) et produisant des champs magnétiques intenses (8,3 teslas).
Mais le grand moment, celui qu’on ne pourra à l’évidence jamais oublier, c’est celui de la rencontre avec une femme d’exception, Fabiola Gianotti, chef de projet sur le détecteur ATLAS lors de la découverte en 2012 du boson de Higgs, et qui a été depuis cooptée par ses pairs en 2016 pour être la première femme directrice générale du CERN. Répondant simplement aux questions que les élèves avaient préparé, elle n’en a pas moins écouté avec attention le responsable du groupe décrire les activités de l’atelier des deux infinis et notamment l’ouverture à la prochaine rentrée d’une option facultative en seconde dénommée « Physique des deux infinis », en sollicitant Mme Gianotti pour que le CERN en devienne le parrain officiel. Elle s’est aussi livrée de bonne grâce à une photo de groupe qui fera date. Merci au parrain de l’atelier Laurent Serin (venu deux jours plus tard saluer tout le groupe à Orly) sans qui jamais cette rencontre n’aurait été possible, et un immense merci à Mme Fabiola Gianotti d’avoir pu dégager quelques minutes de son précieux temps pour rencontrer notre groupe, un très grand honneur assurément.
Auparavant, le groupe s’était lancé sur les traces de Galilée, le père de la physique moderne, qui, grâce à la lunette qu’il a su modifier et tourner vers le ciel, a replacé correctement la place de l’Homme dans le cosmos, non pas au centre comme l’Eglise le prétendait, mais sur une petite planète qui, comme d’autres planètes, tourne autour de son étoile, le Soleil, une étoile bien ordinaire parmi tant d’autres qu’il a observé au sein de la voie lactée. C’est à Pise où il est né en 1564, et de l’étude des mouvements sur un plan incliné, et non à la Tour de Pise, que Galilée a pu énoncer mathématiquement la loi de la chute des corps. Il avait su étudier auparavant les oscillations d’un encensoir dans la cathédrale de Pise. En visitant sa dernière demeure sur la colline d’Arcetri, près de Florence, là où Galilée a observé le mouvement de libration de la Lune, et en passant une soirée à l’observatoire astronomique qui la jouxte désormais, chacun a pu se rendre compte de ce que furent ces années d’assignation à résidence, après sa condamnation par l’Eglise, pour avoir simplement défendu que la Terre tournait sur elle-même et autour du Soleil. Les hommages à Galilée sont désormais très présents à Florence, sur la façade de la cathédrale, comme sur une des tours de la bibliothèque nationale ou à la galerie des Offices, à la Tribune de Galilée, ou encore au sein du musée Galilée, qui conserve d’ailleurs quelques unes de ses reliques. L’histoire de la sépulture de Galilée à la basilique Santa Croce permet de comprendre la difficulté qu’a eu l’Eglise à reconnaître les mérites du savant, à une époque où science et religion ne pouvaient être dissociées. C’est dans ce contexte de la Renaissance, où l’Homme revient au coeur des préoccupations des artistes et savants soutenus par les Médicis, que la science va progresser, à l’image des machines construites par Leonard de Vinci et plus tard de la modélisation mathématique des lois de la nature par Galilée.
La visite de ces haut-lieux de la Renaissance à Florence, comme la coupole de la cathédrale due à l’architecte Brunelleschi, ou encore celle de la galerie des Offices, où sont exposés des tableaux majeurs de Giotto, Lippi, Verrocchio, Botticelli, Michel-Ange ou Leonard de Vinci, permet de mieux comprendre l’évolution décisive du regard que porte l’Homme sur lui-même et sur le monde à cette période.
A notre époque, où les états tendent à se replier sur eux-mêmes, l’Office des Nations Unies, comme toutes les organisations internationales présentes à Genève, est le lieu où l’on tente encore et toujours de rappocher les peuples, pour la paix et l’harmonie du monde, thème utilisé aussi par l’artiste de rue américain Keith Haring pour l’une de ses dernières oeuvres, Tuttomondo, réalisée sur la façade d’une église à Pise. Les grandes collaborations scientifiques internationales, par exemple le CERN, y contribuent également très fortement. Un beau message d’espoir pour les élèves que de comprendre les enjeux politiques du multilatéralisme, en particulier pour le respect des droits de l’homme.
Entre art, histoire et science, et marqué par des rencontres phénoménales avec de grands scientifiques, avec tout au long du voyage une excellente ambiance dans le groupe et bon nombre de surprises que les encadrants avaient réservé aux élèves, il est à se demander si ce n’est pas en définitive la totalité de ce voyage qui laissera d’incroyables souvenirs à chacun de ses participants, comme un rêve qu’on aurait vécu éveillé…