Lolita Tergémina : Qui es-tu ? Que fais-tu ?
Lolita Tergémina, comédienne, metteuse en scène et directrice de la compagnie SAKIDI, nous a fait l’honneur de répondre à nos questions ce jour. À plusieurs reprises cette année, elle est venue au collège pour les élèves de l’option théâtre (4e et 3e). Ces derniers ont aussi pu la voir sur scène dans le rôle principal de Antigone mis en scène par la compagnie KISA MILÉ et joué au théâtre du Grand Marché en octobre dernier. Nous la remercions pour son énergie, sa gentillesse et sa présence à nos côtés.
Êtes-vous heureuse de faire du théâtre ?
Oui, c’est un beau métier que j’ai choisi quand j’étais jeune. Faire du théâtre c’est apprendre tous les jours, c’est faire face à l’imprévu, à l’inconnu.
Quel a été votre parcours ?
Quand j’étais en 5e au collège, j’ai fait un atelier théâtre avec mon professeur de français. Puis au lycée, j’ai arrêté. À l’âge de 19 ans, j’ai fait le conservatoire. Comme ça m’a plu, j’ai passé un concours en France, plus précisément à Lyon pour intégrer l’ENSATT ( École Nationale Supérieure des Arts et des Techniques du Théâtre). Pour ce concours, nous étions six cents candidats. J’étais la seule réunionnaise. Seuls douze candidats ont été retenus : six filles et six garçons. Je suis rentrée à la Réunion quatre ans plus tard. Parfois certaines choses nous semblent impossibles mais je pense qu’il est important de croire en soi et de réaliser ses rêves.
Pourquoi avoir choisi ce métier ? Qu’aimez-vous spécialement dans le théâtre ?
Quand j’étais petite, j’étais très timide. Je ne comprenais pas ce qui se passait dans la vraie vie. Je viens d’une famille défavorisée. Je devais trouver quelque chose pour m’aider à sortir de là. Avec le théâtre, je voulais exprimer la vie. J’aime pouvoir incarner pendant un moment une tranche de vie d’un personnage puis je reviens dans mon quotidien. Je peux ainsi exprimer des émotions que la société ne me permet pas. C’est une sorte de thérapie avec moi-même. Aujourd’hui, j’ai 43 ans. J’ai une expérience théâtrale de vingt ans. J’ai l’impression que quand je suis sur scène, je donne du bonheur au public. Je le fais entrer dans mon monde, je le fais rêver. Le théâtre me fait rêver et me permet de faire rêver les autres.
Est-ce qu’il vous arrive de vous ennuyer dans votre métier ?
Cela dépend des spectacles. Ce n’est pas parce qu’on est sur scène que tout est parfait. Parfois ça ne se passe pas bien avec les autres car on ne s’entend pas forcément. C’est assez rare mais quand c’est le cas, c’est compliqué. Et puis, il y a des rôles qui sont difficiles à endosser. Il m’arrive d’avoir une part d’incertitude en moi. Mais la plupart du temps ça reste un plaisir.
Comment gérez-vous votre stress ?
Dans notre métier, on parle plutôt de « trac ». C’est quelque chose qui nous sert plus qu’il nous dessert. À l’inverse le stress peut nous donner des trous de mémoire. C’est pourquoi, avant de jouer c’est toute une préparation. Je me détends pour être réceptive à ce qui se passe sur scène. J’ai besoin d’un temps entre le moment où je quitte chez moi et mon arrivée sur scène. Je fais un training, de la méditation, je travaille ma respiration. Certains comédiens mettent en place un rituel. Il y a quelques années je faisais trois fois le tour du plateau avant le spectacle.
Pour parler d’Antigone, rappelez-vous, à un moment je suis enfermée dans une boîte pendant au moins quinze minutes. Pour gérer cela, je respire. Je viens juste de faire un long monologue, je suis essoufflée et prisonnière dans une boîte sombre. Alors, j’ai ma menthe sous forme d’huile essentielle et ma bouteille d’eau. On trouve toujours des solutions pour gérer certaines situations inconfortables.
Combien de temps vous faut-il pour vous concentrer avant un spectacle ?
Quand on est comédien professionnel on met dix minutes. Je me mets dans la peau de mon personnage et c’est parti. Entre deux scènes, il m’arrive de casser la blague avec d’autres comédiens dans les coulisses. Puis à nouveau, quand c’est à mon tour de jouer, je reviens dans ma bulle. Nous avons appris des mécanismes physiques qui facilitent la concentration.
Qu’aimez-vous le plus faire dans votre métier ? Et qu’aimez-vous le moins ?
Ce que j’aime le plus ce sont les répétitions. Je me sens joyeuse. J’ai une énergie créatrice. Je suis dans la recherche et la légèreté.Je me sens libre de chercher mon personnage.
Ce que j’aime le moins c’est la première représentation. Puis une fois que c’est passé, le plaisir revient. Ce qui me déplaît aussi c’est le moment où les comédiens se séparent après avoir longtemps travaillé ensemble. On a partagé des choses fortes. On a développé du respect mutuel. On a exposé nos fragilités. Quand c’est fini, on se sent vide. C’est fini, il faut passer à autre chose. C’est difficile à gérer émotionnellement.
Êtes-vous bien payée ?
Pour chaque répétition et représentation, je suis payée. En tant que comédienne, je suis une intermittente du spectacle, cela signifie que je travaille par période. Toute l’année je cotise pour les mois où je ne travaille pas pour avoir un salaire quand même. Mon salaire varie. En moyenne, je gagne entre 1500 et 1800 euros.
À chaque représentation donnée, je négocie le montant de ma rémunération. Pour Antigone par exemple, j’ai touché 250 euros par représentation.
Aimeriez-vous changer de métier ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
Non car ce métier se compose de plusieurs choses. Au bout de dix ans je suis devenue metteuse en scène. Depuis six ans j’enseigne auprès de jeunes élèves comme vous.
Mais il est vrai qu’il y a quelques années, je me suis dit que j’allais arrêter. En effet, c’est un métier précaire. Les comédiens n’ont pas régulièrement du travail. Mais depuis que je suis directrice de ma compagnie, j’insuffle beaucoup de projets. Et je sais que je n’arrêterai pas le théâtre.
(propos recueillis par les élèves de la 4e option théâtre)