A l’occasion de la 27ème Semaine de la presse et des médias dans l’école, l’association Solidarité et Cultures, en partenariat avec le Clemi de La Réunion, a invité le photojournaliste Miquel Dewever-Plana afin qu’il puisse rencontrer des jeunes lycéens dans 15 établissements de l’île. Des élèves du lycée Louis Payen avaient déjà pu profiter, en avril 2013, toujours grâce à l’association Solidarité et Cultures, de son passage à La Réunion, dans le cadre de la Journée mondiale de la santé. La rencontre avait été intense et chargée en émotions, de même que celle de ce mardi matin 22.03.16, où 44 élèves de 2de option “Littérature et société” ont pu l’accueillir pendant 1h30, en compagnie de leurs professeurs Mmes Taussat et Ragenard.
C’est avec cette belle citation que Miquel Dewever-Plana a entamé la rencontre.
Il a raconté son parcours atypique aux élèves extrêmement attentifs. Comment, ayant grandi dans une famille chaleureuse et aimante, il a voulu voyager et aller à la rencontre des autres qui eux, n’avaient pas eu cette chance.
Pour faire un reportage, il s’investit complètement, passe des heures, des mois voire des années auprès de ceux qu’il veut photographier et faire témoigner.
C’est ce qu’il a fait au Guatémala, pour enquêter sur la nouvelle tragédie subie par le peuple maya du Guatemala dans les dernières décennies du XXe siècle: en pleine Guerre froide, l’armée guatémaltèque a appliqué la stratégie de la terre brûlée, éliminant des communautés entières d’Indiens. Plus de 200 000 personnes ont été massacrées, 45 000 portées disparues et 430 communautés mayas ont été rayées de la carte. Ce fut sans conteste le conflit le plus tragique d’Amérique latine, mais aussi le plus ignoré, même si ce génocide est maintenant reconnu par l’ONU. Dewever-Plana a même été menacé de mort, mais des paysans, avec qui il vivait et partageait le dur labeur quotidien, l’ont caché afin qu’il puisse échapper aux représailles… A lire et emprunter au CDI sur le sujet: La vérité sous la terre : le génocide silencieux, livre où les photographies sont accompagnées de témoignages sur ces années terribles et de “lettres” adressées par les vivants aux morts enfin retrouvés.
C’est avec cette photo, volontairement floue, symbole de l’avenir incertain des jeunes guatémaltèques,que s’achève “La vérité cachée sous la terre”.
Après la parution de ce livre, 50000 exemplaires ont été réimprimés, en espagnol et édition cartonnée, moins onéreuse, et Dewever-Plana est retourné au Guatémala pour les donner aux victimes du génocide.
Le photojournaliste s’est ensuite intéressé à L’autre guerre (livre également au CDI), celle qui sévit actuellement au Guatémala et fait aujourd’hui autant de victimes que durant le conflit armé des années 1980, due à la violence des maras, ces gangs ultra-violents qui terrorisent la population. C’est cette réalité, qui devient la nôtre, avec les attentats terroristes où la religion n’est que prétexte, que décrit Miquel Dewever-Plana depuis plus de dix ans.
Première scène de crime pour Dewevere-Plana, souvenir toujours bouleversant malgré les années passées.
La jeune Laura: l’une des rares fois où Miquel a ressenti une haine viscérale pour les auteurs du meurtre de cette enfant, qu’il connaissait, et dont le père a lui aussi été assassiné un mois plus tôt.
Ci-dessus Tonito, son petit frère, qui la pleure, la procession dans le cimetière et le cercueil tout en hauteur, de Laura: les derniers étages, que l’on ne peut fleurir, sont réservés aux plus pauvres…
Une des nombreuses citations qui accompagnent les photographies de Dewever-Plana.
Après avoir côtoyé de près ces membres de gangs, notamment en prison où il a passé des journées entières pendant des mois, ce qui lui a permis de mieux les comprendre, il n’a qu’une certitude : c’est la pauvreté, le chômage et des familles détruites par la guerre et l’immigration, le manque d’éducation, la fragilité des structures sociales et l’impunité qui font le lit de cette violence. Sans jamais juger, il interroge les élèves: qu’aurions-nous fait à leur place?
Qu’aurions-nous fait à la place d’Alma (livre disponible au CDI, webdoc consultable sur Arte), une magnifique jeune femme qui a choisi de rentrer dans un gang, et pour ce faire, de prouver qu’elle “méritait” d’en faire partie, en commettant des actes encore plus terribles que ses “frères” de sang et violence? Entre devenir une victime des hommes, comme sa mère et ses sœurs, violées, battues, bafouées, ou bien être “respectée”, c’est-à-dire inspirer la terreur, pour ne pas subir, qu’aurions-nous fait?
C’est ainsi que s’est terminé l’entretien avec cet homme passionné et totalement investi dans ce qu’il fait, si bien! Les élèves, comme essaient de le montrer les photos ci-dessous, ont été littéralement captivés par son témoignage, son expérience, son engagement.
Pour en savoir plus sur Miquel Dewever-Plana:
Site: http://www.miquel-dewever-plana.com
Bio: Après des études de photojournalisme à Paris, Miquel Dewever-Plana s’installe en Amérique Latine mettant sa passion pour la photographie au service de la défense du peuple maya. Nombre de ces projets obtiennent des prix internationaux. Membre de l’Agence VU depuis 2002, il travaille actuellement sur les communautés amérindiennes de Guyane.
Bibliographie: Mayas (2002), La vérité sous la terre : le génocide silencieux (2006), Hach Winik (2012), Alma (2012), L’autre guerre (2014). Tous ces livres, à part Mayas, sont disponibles au CDI, ainsi que Mexique, ouvrage collectif (2008).
Webdocumentaire: “Alma, une enfant de la violence“. http://alma.arte.tv/fr/
Témoignage exceptionnel d’Alma qui a appartenu pendant 5 ans à l’un des gangs les plus violents du Guatemala. Récompensé par 7 prix dont le Visa d’Or 2013 du Festival International de photojournalisme.
Thèmes d’intervention: Depuis Charlie et les attentats du 13 novembre, la liberté d’expression a pris une dimension nouvelle. Cette liberté, que nous pensions acquise, a été mise à mal, et semble être remise en question par certains. Qu’est-ce donc que la liberté d’expression, terme aujourd’hui galvaudé ? (Et les jeunes, comment l’interprètent-ils ? ) Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? Comment et sous quelle forme cette liberté d’expression s’articule-t-elle dans mon travail de photojournaliste ? Libérer ma parole m’a aussi permis de libérer celle des autres. Dans mes projets “La vérité sous la terre”, “L’autre guerre”, “Alma, une enfant de la violence” et “d’une rive à l’autre” (projet en cours de réalisation) cette liberté d’expression a été utilisée et développée
de différentes façons (photos, dessins, témoignages, écrits personnels, …). Mon intervention me permettra d’aborder cette thématique sous différents aspects et nous verrons comment et pourquoi il m’a semblé nécessaire de libérer la parole, celle des victimes tout comme celle de ceux qui voudraient faire taire cette “liberté d’expression”.