Jean-Christophe Tixier : Un auteur au collège

« I would prefer not to [1] »                                                        Par Mme Boutier, professeure de français – le 08/04/2024.

 

            Mardi 2 avril 2024, au CDI, a été reçu un écrivain venu de l’hexagone, Jean-Christophe Tixier, auteur prolifique et reconnu de romans pour adolescents, afin de partager des questions et des réflexions sur le roman Guilty, paru en 2022. Les élèves de la classe 307 devaient lire ce roman. Ils ont réalisé pour cette rencontre des œuvres plastiques, inspirées du roman et installées en différents lieux du CDI. C’est par l’observation de ces œuvres plastiques singulières, émouvantes ou frappantes, qu’a commencé l’échange avec l’écrivain, sur l’écriture et ses enjeux. Des questionnements que la classe a eu peine à aborder, mais qui ont été posés, là, devant eux, par un écrivain vivant et captivant. Comment faire lire et écrire des élèves réticents ? Défi lancé…

 

            « J’étais mauvais en français, je n’avais jamais la moyenne ! » a-t-il affirmé d’emblée, expliquant qu’il n’était écrivain, vraiment écrivain, que depuis l’âge de 38 ans. (Précisons qu’il a maintenant 57 ans.)

            Comment avez-vous imaginé l’histoire du roman ? (Le thème principal du roman Guilty est en effet la justice populaire rendue par une application téléphonique intitulée « Guilty ».)

            Dans un monde de plus en plus binaire, où les réactions sont rapides grâce aux applis de smartphones, les émotions et les opinions sont connues très rapidement. C’est trop rapide et très violent. C’était ça l’idée de départ : que faire de ces réactions populaires très fortes, sous le coup de l’émotion ? Et qui peuvent influencer beaucoup de monde.

            Avez-vous gagné beaucoup d’argent avec ce livre ?

            Oh, un pognon fou ! (s’exclame-t-il, en riant). Plus sérieusement, je ne suis pas tout seul. Il y a l’éditeur, et d’autres métiers pour faire un livre. En comptant le pourcentage pour l’auteur, je gagne entre 80 et 85 centimes d’euros par livre, pour celui-ci, Guilty. Et d’autres personnes vont gagner un peu pour chaque livre : l’éditeur et ceux qui travaillent avec eux comme les correcteurs, ceux qui créent la couverture, et les imprimeurs, les libraires : tous ceux qui permettent que l’histoire arrive au lecteur. […] Les trois romans Guilty vont être adaptés en série, pour une plate-forme de vidéo : le travail est en cours. Et il y a les traductions, en espagnol – une traduction qui s’est bien vendue, plus qu’en France – aussi bien pour l’Espagne que des pays latino-américains, en portugais, pour le Portugal et le Brésil, et en allemand. […] En fait, on ne sait pas si un roman va payer ou pas.

            Quelles sont les études pour devenir auteur ?

            Il n’y a pas d’études pour ça. Je connais des écrivains qui étaient à la rue, d’autres avec des métiers très modestes, d’autres qui ont d’abord travaillé avant de pouvoir écrire. Moi, j’ai été publié tard, à 38 ans, rappelez-vous. Être auteur, c’est d’abord faire vivre des choses suffisamment fortes dans sa tête pour qu’elles vivent. Alors, le métier ou les études pour ça, aucune importance. J’ai fait des études d’économie et je n’étais pas très bon à l’école avant ces études. Ce n’était pas dans ma famille non plus l’écriture, et mes profs n’auraient jamais pensé que je pourrais être auteur.

            Combien de romans avez-vous écrit ?

            A peu près trente-cinq, je crois. J’ai aussi écrit des scénarios pour des bandes dessinées, mais je ne dessine pas. Je suis très mauvais en dessin ! Je travaille aussi pour des illustrateurs, pour des revues comme Je bouquine. Et j’ai écrit des fictions radiophoniques pour France Inter, cinquante ou soixante, dont trente-cinq sont devenues des romans.

            De tous les romans, lequel a eu le plus de succès ?

            Un roman auquel ne croyait pas mon éditrice. C’est Dix minutes à perdre, (proposé au CDI) qui a reçu vingt-deux prix, et a eu du succès jusqu’au Japon. Et c’est devenu une série, « Dix minutes à … », j’en suis au dixième tome.

Combien de temps ça prend d’écrire un roman ?

            « Mais, ça veut dire quoi écrire ? », demande-t-il aux élèves. « Assembler des lettres pour faire des mots. » propose l’une, « Dessiner des mots. » répond un autre, « Avec des mots, faire une phrase, avec des phrases on fait un paragraphe et après un texte. » tente un autre.

            Eh bien, non. Je déteste le verbe écrire ! Je préfère le mot raconter. D’abord, il faut faire exister l’histoire. Il me faut quatre mois entre l’idée et l’écriture. Pour Guilty, il m’a fallu dix ans. J’écris en un mois et demi, parfois. Le temps le plus long, c’est pour répondre à mes questions sur l’histoire. J’ai besoin de me documenter aussi. Alors je dois répondre à la question « Qu’est-ce que je vais raconter ? » par d’autres questions : Qui sont les personnages ? Quel est le décor ? C’est quoi la psychologie des personnages, ce qu’ils préfèrent, ce qu’ils veulent ? » Alors, je travaille beaucoup mon brouillon, je cherche, je fais des hypothèses. Et j’ai remarqué que quand un éditeur dit « non » sur ce que je lui montre, c’est parce que j’ai travaillé trop vite. Je reprends, pas les fautes. Je reprends pour l’adjectif le plus précis, le verbe le plus efficace. Écrire, c’est ça : une idée à retravailler, beaucoup. Et à la fin, oui, on écrit des mots, on a fini. Alors, écrire des mots, des phrases, c’est la fin. On fait exister d’abord, on écrit, on corrige et on améliore, voilà.

 

         Un moment de silence. Les élèves semblent impressionnés et n’osent pas dire ce qui les préoccupe depuis des semaines, depuis que le projet porté par Mme Leclaire, Mme Baldassini et Mme Boutier a été lancé, il y a quelques mois. En vérité, un tiers de la classe seulement a lu le roman en entier, un tiers l’a commencé et n’a pas poursuivi au-delà des premières pages, et un tiers ne l’a pas du tout lu, sauf les extraits proposés et travaillés en classe. Comment peut être interprété ce moment de silence ? Est-ce de l’embarras, face à un auteur qu’ils trouvent sympathique, mais auxquels ils ne se sont pas vraiment intéressés ? Est-ce un remords de n’avoir pas lu ou apprécié le roman Guilty ?

 

            « Mais, au fait, qui n’a pas aimé le livre ? » demande l’auteur, finaud.

            Des élèves répondent qu’ils n’aiment pas lire, que ce n’est pas à cause du roman lui-même. Que c’est trop long de lire.

            Ah, oui : il y a deux choses difficiles quand on lit. D’abord, quand on lit, il faut à la fois déchiffrer les lettres, comprendre ce qui est écrit et faire des images dans sa tête. Oui, c’est compliqué quand on n’est pas entraîné. Et puis, quand on lit et qu’il n’y a pas de plaisir de lecture, là aussi c’est dur. C’est parce qu’on n’est pas tombé sur le bon bouquin. Moi aussi, ça m’est arrivé : certains livres ne sont pas du tout faits pour moi. Je connais quelqu’un qui a découvert la lecture à 40 ans. Elle est devenue organisatrice de salons du livre ! Moi, au collège, le premier roman qui m’a plu, c’est Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. J’ai été aspiré par le roman, et après ça, j’aimais lire. C’est une histoire de rencontre, aimer lire. Ne dites pas : je n’aime pas lire. C’est une vérité, ça va rester pour toujours. Dites plutôt : je n’ai pas encore rencontré le livre qui m’a plu. A 75 ans, OK, vous pouvez dire : je n’aime pas lire. Mais pas à votre âge… Dans ma famille, personne n’a de rapport avec la lecture. Regardez, je suis bien auteur ! Ne fermez pas les portes, laissez tout ouvert. Souvent, il y a de petits hasards…

            Comment avez-vous trouvé la problématique du roman ? (La traque violente d’un jeune homme coupable par l’application Guilty qui rendra justice, pour celles et ceux qui ne l’ont pas lu.)

           Un premier brouillon, c’est d’abord une suite de questions. Par exemple, imaginons qu’une soucoupe volante atterrisse dans la cour du collège. Quelles sont les questions qu’on peut se poser ?  Si déjà l’auteur se pose des questions, alors il répondra un peu aux questions que le lecteur se pose. Je me demande quand j’écris  : qu’aurais-je fait à la place du personnage ? Par exemple, Diego, après l’accident, mérite-t-il la peine de mort ? Moi je voulais pour Diego qu’il n’y ait pas d’intention de tuer. J’aime bien dire que je suis un explorateur. Comme si j’allais explorer un île inconnue. Ça fait 19 ans que j’écris, ça fait 17 ans que je suis auteur et que j’explore des personnages et des histoires.

            C’est quel type de roman, Guilty ?

            Ah, je ne sais pas s’il faut dire si ce roman appartient à un type… Qu’en pensez-vous ? (Propositions d’élèves : roman policier ? thriller ? science -fiction ?) Alors, un thriller, oui… Mais j’aime pas les classements. (Un autre élève propose : « Un roman éducatif ? ») Mais moi, je ne dis pas ce qui est bien ou mal dans le roman. Vous vivez avec Diego, ses émotions. Qu’est-ce que vous en faites ? Alors, c’est éducatif, comme une rencontre. Dans le sens d’une expérience de vie. Vous en tirez une leçon ? Le reste vous appartient.

            Diego existe-t-il vraiment ?

            Oui… et non. Il existe là, dans le roman, et là, dans la tête. Alors, est-ce qu’il existe vraiment ?

            Vous êtes-vous inspiré de faits réels ?

            Être auteur, c’est utiliser tout ce qu’on a dans la tête. Je vais comparer à une soupe, avec plusieurs légumes, des épices… Qu’est-ce qu’on mange alors, exactement ? A quel légume appartient le goût ? A chaque rencontre, ma soupe s’enrichit d’autres légumes. Alors, Diego, il vient de ma tête, de mes rencontres, de ce que j’ai vu, de faits divers, …. C’est comme les influences des musiciens. Tout ça alimente ce que je fais.

            Est-ce qu’écrire est une passion ?

            Une passion ? Oui. Une obsession, du matin au soir… Oui.

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[1]. (Traductions : « Je préférerais ne pas » ou « J’aimerais mieux pas »), phrase issue de Bartleby Le Scribe, d’Herman Melville.

 

 

 

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