La nuit est une grande source d’inspiration. Combien de poètes ou écrivains ont été influencé par le chant d’un hibou, ou les reflets du clair de lune sur un lac ? Beaucoup, en tout cas.
Oui, la nuit est une belle chose, mystérieuse et insaisissable, qui nous calme et nous réconforte, nous émerveille par sa grâce et sa majesté.
Du moins, tel est l’avis du poète.
Mais la vraie nuit, la dure, la sombre, est loin d’être aussi merveilleuse. Celle où le simple hululement d’une chouette, le moindre craquement de branche, le plus infime bruissement de feuille nous glacent le sang.
Celle où des nuages chargés d’eau cachent la lune, et l’envellope dans un manteau de brume et de pluie.
Celle où la faible lumière des étoiles, loin de nous réconfortée, nous fais confondre l’ombre imposante des arbres avec la silhouette d’une bête sauvage rodant en silence.
C’est cela, une véritable nuit.
Et c’est dans une de ces véritables nuits qu’avançait une petite forme chétive. Un poète ou écrivain aurait sûrement cru au passage d’une fée, tellement la chose qui avançait semblait minuscule. Mais il n’en était malheureusement rien. Il s’agissait d’un enfant. Un garçon, plus précisément. Il devait avoir entre 4 et 5 ans, mais il était si maigre, semblait si frêle dans son haut rouge trop grand pour lui, que poètes, écrivains, ou n’importe quelle autre personne ne lui en aurait donnée à peine 3.
Ses cheveux blond-roux devenus presque gris sous la couche de poussière lui retombaient mollement sur les yeux. Son visage était à moitié caché par l’ombre de ses mèches rebelles, mais ses joues et le haut de ses lèvres étaient couvert d’égratinures sûrement causées par les épines de la forêt d’où il semblait venir. Le reste de son corps, noyé dans ses vêtements trop larges, se rapprochait plus du tas d’os que de la morphologie d’un être humain. Et puis, il y avait ses pieds, qui, comme pour contredire la maigreur du petit garçon, étaient gonflés par l’effort et la transpiration.
Et lui avançait toujours, petit embryon de vie dans la noirceur infernale de cette véritable nuit, lui avançait toujours, traînant entre ses deux jambes un chien en peluche déchiré privé d’une des ses oreilles.
Il aurait peut-être continué encore longtemps. Il aurait peut-être même continué jusqu’à ce qu’il s’effondre d’épuisement sur les bords terreux de cette autoroute. Mais nous ne le saurons jamais, car, alors que lui semblait décidé à finir sa vie ainsi, errant sur une route sans boire ni manger, le destin l’en empêcha. Poètes et évrivains s’en seraient donné à coeur joie, car, voyez vous, le destin fait aussi partie de leurs sources d’inspirataion favorites. Mais voilà, il n’y avait ni poètes, ni écrivains dans les environs. Juste ce petit garçon, son doudou, et cette voiture, là-bas, qui justement paraîssait être un cadeau dudit destin.
L’automobile cheminait à un rythme régulier, semant dans son sillage la lumère rouge vive de ses phares. Au bout de quelques instants, dans un crissement de pneu, nous pûmes distinguer sa carrosserie blanche presque aveuglante. Et c’est dans un nuage de fumée qu’elle manqua tout juste un des arbres de la forêt qui bordait l’autoroute en se stoppant net derrière le garçon. Celui qui, nous l’avons déjà dévoiler un peu plus haut, ne mourra pas de faim sur le bitume de cette route, s’arrêta lui aussi, et attendit sagement que le visage du conducteur apparaisse derrière la vitre qui s’abaissait peu à peu.
Le chauffeur était un jeune homme brun âgé d’une trentaine d’années. Sa peau blanche semblait aussi lisse et immaculée que sa voiture, mais si nous plissions un peu les yeux, nous pouvions distinguer de petites gouttes de sueurs qui commençaient à perler. Il était souriant, c’est vrai, mais de ces sourires un peu forcés que l’on a devant une situation désespérée, ou un problème qu’on ne comprend pas.
Le sourire d’une personne en dit long sur qui elle est. Ses yeux aussi. Par conscéquent, quelqu’un doté d’un minimum de sens de l’observation aurait très vite comprit qu’il avait affaire à quelqu’un de particulièrement anxieux. Il semblait donc normal que le petit garçon, qui semblait être doté de cette merveilleuse capacité nommée déduction, jetait des regards méfiants au conducteur. Cela ne fit qu’empirer les choses. Le jeune homme déglutit bruyament devant l’attention soupçonneuse que lui portait l’enfant, avant de déclarer avec hésitation.
– Bonsoir, mon petit. Que fais-tu ici, sans ta maman pour te surveiller ?
Le petit ne répondit pas
Ce silence augmenta encore plus le trouble du chauffeur. Celui-ci détailla du regard le petit garçon. Sale, répugnant, fatigué, mais par dessus tout, affamé, voilà les mots qui vinrent à l’esprit de l’homme en le regardant. Tout à coup, prit d’un soudain élan de bonté et de courage, il sortit brusquement de sa voiture, prit le petit corps maigrelet du gamin entre ses bras et l’attacha sur le siège avant de sa voiture, tout en prenant soin de ramasser le chien en peluche qui était tombé dans la boue. Là, il redémarra son automobile et s’engagea rapidement sur l’autoroute.
Le gamin n’avait même pas protester quand l’homme l’avait installé de force dans la voiture, et n’avait pas fait un geste lorsque le moteur avait vrombi et quand les pneus de la voiture avaient commencé à rouler de plus en plus vite sur la route. Etait-ce parce qu’il savait qu’il n’avait pas d’autres choix s’il ne voulait pas mourir, ou juste parce qu’il était trop fatigué pour se débattre ?
Le jeune homme ne prit même pas la peine de se poser la question, tellement ses propres doutes occupaient toutes ses pensées. Qu’allait-il faire ? Aller dans le premier poste de police qu’il verrait lui semblait être une bonne solution. Là, il laisserait le petit au soin des policiers, et partirait, la conscience tranquille. Oui, c’était parfait ! Il n’avait même pas besoin d’interroger le petit, les enquêteurs le questionnerait mieux que lui. Il essaya de sourire en pensant que bientôt, toute cette histoire ne serait plus qu’un mauvais souvenir, et se concentra sur la raison de sa visite à Toulouse.
Il ne put retenir un petit soupir de frustration en pensant au fait qu’il allait rencontrer les enfants de sa soeur. Il n’avait jamais trop aimé les enfants. C’était collant, jamis satisfait et sale. «Enfin, pas aussi sale que ce gamin» se dit-il en pensée avec un mélange de pitié, de sympathie et de répulsion, tout en jetant un coup d’oeil au garçon. Lui, toujours très calme, jouait avec son doudou comme si de rien n’était. Puis, sentant le regard de l’homme sur sa peau, il arrêta son occupation silencieuse et le dévisagea avec cette même méfiance qu’il avait tout à l’heure, quand il avait pour la première fois vu le jeune conducteur. Le chauffeur se détourna aussitôt. Son caractère nerveux reprit le dessus, et il en vint même à se demander si le gamin pouvait savoir qu’il avait l’intention de l’abandonner au poste de police. Il sentait encore son regard lourd de reproche sur lui, et se secoua vigoureusement la tête. Il allait devenir fou, si ça continuait. Il recentra ses pensées sur sa sœur.
Il pourrait bien faire cet effort pour Laurie.
Il se souvenait encore de quand, petit, sa sœur et ses longs cheveux bond-roux écrivait des poèmes et des histoires sur la nuit ou le destin. Il aimait bien écouter ce qu’elle inventait. Elle avait même créé un poème sur la rouille de la porte de leur salle à manger.
«Hymne à la Rouille, se rappela t-il avec un petit sourire».
Le pire, c’est que c’était une belle poésie.
C’était aussi la dernière qu’il avait ententdu d’elle.
Après la séparation de leur parent, il ne s’étaient plus jamais revus. La naissance de ses enfants, c’était l’occasion de renouer les liens.
Le soleil se levait à peine, quand, vers les 5 heures du matin, ils croisèrent enfin les premières maisons. Peu de temps après, le jeune conducteur se gara dans le parking d’un poste de police, et s’empresssa de s’y engouffrer, en traînant le gamin et son doudou poussiéreux derrière lui. Ah là là, il était content d’être enfin arrivé ! Depuis qu’ils s’étaient engouffré dans la ville, le gamin n’arrêtait pas de secouer une feuille de papier devant lui. Il ne criait pas, ne s’agitait pas. Il se contentait de montrer la feuille à l’automobiliste d’un air impatient.
En sortant de la voiture, alors que le petit continuait d’agiter le papier devant lui, le jeune monsieur, les nerfs à bout, lui arracha le papier des mains, et, sans même y jeter un regard, le chiffona en boule et le jeta derrière lui. Le garçon s’empressa d’aller le ramasser et suivit lentement l’homme, son doudou et sa feuille bien serrés contre sa poitrine.
Il se culbuta contre son «sauveur» quand il pénétra dans la salle d’accueil, qui était à peine éclairée. Le petit regarda alors vers le bureau et, le temps que ses yeux s’adaptent au faible éclairage de la pièce, il remarqua un policier rondelet affalé sur sa chaise. L’aspect de ses yeux et la couleur de ses cheveux montraient qu’il devait avoir la quarantaine, mais son regard était aussi vif et réactif que celui d’une tortue en fin d’hibernation. Un sachet de fraises tagada était posé sur ses genoux, et ses yeux s’illuminaient chaque fois qu’il portait un bonbon à sa bouche, pour aussitôt se rééteindre dès que la friandise passsait dans sa gorge. Les cristaux de sucre éparpillés sur son bureau tranchaient avec la propreté du poste de police. Il mit un certain temps avant de comprendre qu’il n’était plus seul, et quand il remarqua les nouveaux arrivants, il eut besoin d’un temps de réfléxion avant de comprendre qu’il était en service et que ce jeune monsieur et son gamin crotté avaient peut-être besoin de lui. Il se redressa alors soudainement, chassa les morceaux de sucre de sa table qui tombèrent sur ses chaussures, et essaya de se donner un air professionnel. Mais il se recroquevilla en croisant le regard courroucé du jeune homme.
– Eh beh… excusez-moi , monsieur, j’étais en pause et je vous avez point vu arriver. C’est que, à cette heure ci du matin’g, y’a pas beaucoup d’monde, en général ! se défendit-il avec son accent toulousain bien marqué.
L’homme inspira et expira discrètement, avant d’afficher un sourire forcé et de tendre sa main un peu humide au policier.
– Bonjour, lança t-il avec un peu trop d’enthousiasme tout en serrant la main collante de l’officier. Je suis John Hud, et je viens vous voir pour… lui.
Il désigna d’un signe de tête le petit garçon qui, affamé, avait entrepri d’engloutir le paquet de bonbons, la feuille et son doudou délaissée sur une des chaises d’attente de l’accueil.
C’était un bien étrange spectacle, cet homme grassouillet et ce monsieur un peu transpirant qui observaient silencieusement ce petit garçon toujours recouvert de boue et de crasse attraper avec ses petites mains sales des paquets de fraises tagadas. Malgré ça, il ne perdait pas le nord, et soutenait calmement le regard des deux individus.
Mr. Hud résuma brièvement l’histoire au policier, tout en prenant soin de mentionner la mystérieuse feuille que le petit lui suppliait à sa manière de lire depuis leur entrée en ville, sans pour autant préciser son petit mouvement de colère.
Mr. Clawisttle -car ainsi se nommait le policier-, lui demanda ce que contenait cette feuille, et Mr. Hud, gêné, lui répondit qu’il ne l’avait pas encore regardé.
Mr. Clawisttle s’approcha doucement du gamin, et, comme s’il parlait à un animal blessé mais sauvage, lui demanda doucement :
– Bonjour, mon petiôt, je peux prendre la feuille que tu voulais absolument faire lire à ce bon’g Mr. Hud ? C’est que c’est un bon’g gas, que ce John, hein’g ? Faire tout ce trajet pour te ramener ici, en ville ! Eh beh, je sais point si j’aurais fait ça, moi ! Hein qu’il est gentil, Mr. Hud ?
Le gamin avait arrêté de manger dès que le policier était venu le voir. Il ne se donna pas la peine de répondre à l’officier. Il se mit sur la pointe des pieds et ramassa la feuille avant de la tendre le plus naturellement du monde à Mr. Clawisttle.
Ce dernier sembla surprit de l’obtenir sans résistance, et recula rapidement, comme ci le gamin pouvait changer d’avis à tout moment. Quand il baissa les yeux vers la feuille, ses yeux s’agrandirent de surprise. Mr. Hud, qui avait remarqué son étonnement, lui arracha la feuille des mains… et fondit aussitôt en larme.
C’était étrange de voir un homme se briser ainsi. De le voir craquer ainsi à la lecture de sept mots, sept simples et stupides mots. Pourtant, voilà le spectacle qui se déroulait dans ce poste de police, alors que l’obscurité de la nuit reculait peu à peu.
Le petit garçon, surtout, semblait surpri. Puis, lui aussi se mit à trembler. Lui qui n’avait pas broncher sous les coups la douleur, ne s’était pas plaint de sa faim, et ne s’était pas mis en colère lorsque Mr. Hud avait chiffoné et jeté sa précieuse feuille, semblait sur le point d’exploser.
Un sanglot s’échappa de gorge, suivit d’un autre, jusqu’à ce qu’il se mette vraiment à pleurer.
Les larmes aussi sont une source d’inspiration pour les poètes et les écrivains, qui les comparent de manière fort jolie à des rivières ou des torrents.
Il s’agissait effectivement de torrents de larmes qui se déversaient des yeux du petit, noyant le sachet de fraises tagada dans une marre d’eau salée. Les gémissements du petit garçon devinrent si grands, si puissants, qu’ils couvrirent ceux, plus grave, de Mr. Hud. Ce dernier se redressa d’un coup, peinant à étouffer les spasmes qui secouaient son corps. Il contemplait le petit garçon avec tristesse et culpabilité. Il semblait regretter amèrement son comportement de départ avec lui. Les remords le rongeaient tellement, que, ne pouvant supporter la vue de ce petit garçon qui était en fait… non. Il ne pouvait pas se le dire. C’était trop de chagrin pour une seule personne. Il sortit brusquement de la pièce, ne pouvant supporter le spectacle du petit garçon qui pleurait. Mr. Hud avait l’impression que c’était de sa faute, que tout était de sa faute. C’était à la limite du supportable.
Il se précipita vers sa voiture, et démarra aussitôt. Quelques minutes plus tard, nous discernâmes le bruit d’une collision entre deux voitures, la sonnerie d’une ambulance et le claquement des mauvaises langues qui allaient bon train sur les raisons de l’accident.
Plus jamais nous n’entendîmes parler de John Hud.
A l’intérieur du poste de police, Mr. Clawisttle, ne pouvant ingurgiter toutes ses informations d’un coup, prit quelques minutes avant de comprendre que Mr. Hud était parti, et plus de temps encore avant de comprendre qu’il était seul avec cet enfant livré à lui même. Il se pencha doucement et commença à interroger le petit, patienta quelques instants, le temps que ses sanglots se calment, et lui redemanda de lui expliquer comment il s’était retrouvé seul au millieu de la nuit.
Et le petit parla.
« Maman nous zavaient parler de no’t tonton, à Matiz, doudou et moi. Elle avait dit qu’après avoir vu tonton, on partirait dans zun endroit où on aurait une vrai maizon, avec un zardin et trampoline.
On zerait plus obligé de dormir tous les trois sur le même lit, et y’aurait plus de cafards quand on voudra aller au toilettes ! Mais, j’ai dit à maman que les cafards, za me manquera. Elle a rigolé et elle a dit que, là ou on ira, il y aura plein d’autres zanimaux, plus gros et plus doux que les cafards. Alors z’ai ri aussi, et z’ai dit que j’ai hâte d’y aller. Comme on devait voir tonton demain, on devait y’aller zamedi. Mais maman, ze zais pas pourquoi, elle a eu peur. Elle a dit qu’on devait y’aller maintenant, où y’aura un monstre qui nous zattrapera. Mais ze crois qu’elle parlait de zon ancien amoureux. Du coup, on est parti hier zoir, avec Matiz auzi. Mais maman a eu un problème avec la voiture, et on est allé tout vite dans un espèce de grand trou près de la forêt. Après, z’est comme zi je me suis endormi pour quelques minutes, et ze me zuis réveillé. Maman et Matiz, ils bougeaient pas. Et leur corps étaient tout froid. Alors, moi auzi, comme maman, z’ai eu peur. Ze comprenais pas encore que eux, ils ze réveilleraient pas. Comme j’avais froid, z’ai pris le pull rouze de maman. Z’est la d’dans que z’ai trouvé la feuille. Et après, z’ai marché longtemps, longtemps. Et après, y’a Mr. Hud qui est arrivé. Je le faizais pas confianze. Il avait peur, lui auzi. Et la peur, z’est pas bien. Ze crois qu’en faite, il avait peur de moi. Moi ze voulais pas, mais il avait peur de moi. Donc z’ai rien dit. Z’ai fait comme zi je parlais pas, mais je comprenais. Et après, on est arrivé izi. Et après, quand Mr. Hud, il a vu le papier, il a compris, lui auzi. Il a compris pour maman, qu’elle ze réveillerais pas.»
Quand le petit garçon se tut, Mr. Clawisttle reprit la feuille chiffonée, et lut les sept premiers mots, ces sept premiers mots qui avaient réussi à détruire un homme.
Hymne à la Rouille
par : Laurie Hud