Enquête sur des élèves en décrochage scolaire

Nous articulons notre propos sur l’illettrisme et le public scolaire réfractaire en cinq phases :
Les résultats et les hypothèses vérifiées, la méthodologie de l’enquête et les analyses, la présentation des informateurs : leur localisation et les fiches d’enquête et de production, l’analyse et les résultats, et le bilan.

Les résultats
Notre enquête de terrain est de nature qualitative, elle est réalisée selon sur un échantillonnage représentatif de jeunes repérés comme illettrés. Elle s’appuie sur sept cas situés dans cinq communes de l’Ouest, du Sud et des Hauts et selon une tranche d’âge située entre 16 et 20 ans, et elle représente 3h30 d’enregistrement avec 7 productions écrites. Nous avons localisé les enquêtes effectuées durant le premier semestre 2013. L’analyse des données du terrain a permis de vérifier deux hypothèses. Les réponses des sept jeunes informateurs confirment bien les difficultés qu’éprouve l’institution scolaire pour remédier aux difficultés liées à l’illettrisme, leurs réponses montrent la fragilité d’un public exposé aux risques élevés de décrochage dans leur vie. Mais cette enquête met en exergue surtout l’importance des nouvelles technologies de communication auprès des jeunes qui en font un usage permanent et immodéré des appareils numériques.

La méthodologie : enquête et analyse
La collecte des données
Notre collecte des données s’appuie sur des enquêtes qui mesurent des compétences linguistiques. Nous utilisons un test de compréhension et de production écrite et orale destiné au public jeune. L’interview s’articule autour de plusieurs sujets à questions multiples. Les discriminants alimentent la grille d’évaluation en trois parties lesquelles soulignent les conditions de l’enquête (A), les situations civiles, familiales et scolaires (B), les compétences linguistiques (C) :
A-Les conditions de l’enquête
Nous précisons la date et le lieu de l’entretien et indiquons le nom, le prénom et l’adresse de l’interviewé. La durée de l’entretien est signalée de même que les personnes témoins qui assistent voire interviennent dans l’entretien. L’autorisation de l’informateur est demandée afin d’exploiter les données dans une perspective universitaire.
B-Les identités
Nous relevons l’état-civil et la situation familiale. Nous précisons l’âge, le genre et l’adresse. Des informations sont requises sur la formation et les diplômes obtenus.
C-La quête des compétences dans l’expression orale et écrire
Les difficultés durant le parcours scolaire sont mentionnées. Nous nous intéressons aux rapports des informateurs aux médias de la communication et de l’outil numérique. Nous sondons la maîtrise des langues françaises et créoles. Nous nous interrogeons sur le niveau de compréhension et les capacités à l’argumentation. Nous apprécions leur attitude, leur compétence idiolectale au niveau lexical. Nos tests d’évaluation portent sur la compréhension des consignes, sur la production écrite et sur une lecture cursive.
L’analyse des données
Les données du terrain d’enquête ont été recueillies par un support papier pour les productions linguistiques, et un dictaphone numériques dont les données ont été retranscrites.
Les enquêtes ont été réalisées durant le premier semestre 2013 au domicile des intéressés. Les langues utilisées ont été le créole dans le dialogue avec l’informateur et le français dans le questionnaire établi pour l’interview. Nous n’avions déploré aucun incident et les interviews ont été enregistrées avec l’autorisation des élèves et de leur famille.
Nous avons utilisé un questionnaire manuscrit et un dictaphone numérique. Sept informateurs ont été désignés « illettrés » par l’institution scolaire.
Nous nous sommes intéressé aux productions linguistiques des informateurs. Les investigations ont été réalisées de manière formelle à l’aide d’un test pour l’oral et l’écrit. Les mêmes consignes furent soumis aux jeunes scolarisés, les informateurs 3-5-6-7-9-10-12.
Nous avons prospecté les compétences orales (i) et écrites dans la fonction narrative (j) et les fonctions expressives ou/et conatives (k) des jeunes à partir de cette consigne :
« Un évènement vous a marqué cette année, vous exprimez une émotion ou vous formulez une réflexion en écrivant dix lignes. »
(i) : Compétence orale : Nous avons demandé de lire d’abord la consigne, et ensuite sa production.
Compétences écrites :
(j/k) :
(j)Nous avons testé les capacités de l’intéressé à identifier un évènement et produire une narration circonstanciée en fournissant un travail qualitatif.
(k) : Nous avons aussi testé ses capacités à exprimer une émotion ou une idée en produisant un travail quantitatif sur plusieurs lignes.

La présentation des informateurs
Les élèves comprennent le créole et le français et certains maîtrisent leur langue maternelle mahoraise. Aucuns des informateurs ne bénéficient des aides institutionnelles mises en place par les acteurs du plan de prévention et de lutte contre l’illettrisme. Les questions posées relèvent de la langue obligatoire : le français.

La localisation géographique
Tableau synoptique de l’enquête de terrain par ordre chronologique
N° enquête/date Désignation de l’unité urbaine Commune Âge/Sexe Durée de l’entretien

3 mai 2013 Pierrefonds Usine (camp) Saint-Pierre 17ans/h 30 mm
5 mai 2013 Bras Sec (illette) Cilaos (illette) 16 ans/h 30 mn
6 mai 2013 Savannah (camp) Saint-Paul (les Bas) 17 ans/ 30 mn
7 mai 2013 Bernica
(camp) Saint-Paul (Les Hauts) 20 ans/h 30 mn
9 Juin 2013 Les Canots Quartier Etang Salé(les Hauts) 17 ans/h 30 mn
10 Juin 2013 Ligne des Bambous Quartier Saint-Pierre (mi-pente) 17 ans/h 30 mn
12 Juin 2013 Le Gol (camp) Saint-Louis (littoral) 17 ans/h 30 mn

Les fiches d’enquête
Nous reproduisons les interviews d’élèves recueillies sur le terrain créolophone et réunionnais au cours du premier semestre 2013.

Informateur : n° 3
La motivation de l’illettré pour éviter le décrochage
Pierrefonds en mai 2013
L’entretien est réalisé en mai 2013 au domicile de l’intéressé désigné « public illettré » par l’institution scolaire à partir des évaluations réalisées en classe et non spécifiques à l’apprenant en difficulté. L’interview confirme les bonnes impressions déjà signalées par les enseignants. Jordan est âgé de 17 ans et habite à Pierrefonds à Saint-Pierre. Il appartient à une famille de 4 enfants nés en 1986, 1993, 1996 et 2003. Son père âgé de 47 ans est chauffeur routier à Saint-Pierre et sa mère âgée de 36 ans ne travaille plus depuis son licenciement d’une grande surface de distribution à Saint-Louis.
L’environnement linguistique reste le créole de manière dominante, car c’est la langue parlée par la famille et les amis. Il a néanmoins effectué un séjour à Paris avec ses parents durant une semaine. Il vit à Pierrefonds depuis l’enfance dans un logement locatif. Ses parents ont déménagé de Saint-Louis, et il habite à côté du terrain de football synthétique de ce quartier.
Il a demandé depuis le collège une formation en danse en école professionnelle mais le recrutement est subordonné à l’obtention d’un cap et il ne possède pas les diplômes requis. Identifié par l’institution scolaire comme « illettré », il a intégré un contingent d’élève encadré par deux enseignants en français. Il éprouve des difficultés dans la compréhension et la production du texte en français. Il lit plusieurs fois afin de comprendre.
Il a appris à rédiger un cv (curriculum vitae). Il travaille avec son père à peindre une maison. Avec l’aide de sa mère, il utilise l’outil informatique et consulte les journaux pour les offres d’emploi et de formation. Il maîtrise les logiciels professionnels d’animation musicale. Il ne regarde pas la télévision mais fréquente la salle de cinéma de Saint-Louis et appartient à une association de danseurs les Blak styl. Ces jeunes exécutent des chorégraphies mais les blessures occasionnées par les contorsions ont stoppé l’activité. Il perçoit des rémunérations pour ses animations musicales dans les soirées une fois par mois. Il est pris le samedi depuis le matin pour préparer les animations nocturnes, depuis 20 heures, il s’arrête le matin vers 3 heures du matin et se déplace jusqu’à Saint-Denis. Envisage après l’obtention du Cap (certificat d’aptitude professionnelle) de continuer en bac pro menuiserie.
Il est inscrit au lycée professionnel de Roches Maigres et prépare un Cap en menuiserie depuis la rentrée scolaire 2012-2013.
Il vient d’une troisième SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnelle Adapté) au collège Plateau Goyaves à Saint-Louis et a effectué une bonne scolarité en obtenant le tableau d’honneur. Il n’a pas obtenu son Brevet des collèges mais un certificat d’étude générale. Il traîne des difficultés de lecture et met en place des stratégies de compensation efficaces. C’est un élève dans la moyenne supérieure de la classe, leader positif (délégué de classe) en progrès constants. Il a effectué un stage chez un artisan façadier en 96 durant 2 semaines. Par ordre de préférence, il souhaite exercer plusieurs métiers : menuisier, peintre voire professeur de danse. Une évaluation en entreprise (atelier DSM bois concept) en 2010 souligne le sérieux du stagiaire dans cette voix professionnelle.
Nous l’avons proposé un test de compréhension et de production en français ainsi formulé : « Un évènement vous a marqué cette année, et vous exprimez une émotion ou vous formulez une réflexion en écrivant dix lignes ». Après une lecture lente et correcte des consignes de l’exercice, il l’exécute pendant deux minutes et le lit à voix haute. Il évoque un évènement sur la plage de Saint-Pierre à l’occasion d’un rendez-vous diffusé sur le réseau social et entravé par les autorités municipales durant les vacances de mars 2013. Cette manifestation fut organisée après les évènements de Boucan Canot sur le littoral ouest qui occasionnèrent la pollution de la plage.

Informateur n° 5
Traumatisme, instabilité et indécision professionnelle
Bras Sec à Cilaos en mai 2013
1-L’enquête
L’interview est réalisée au domicile en compagnie de la mère. Cet élève est identifié par la vie scolaire de son établissement comme un jeune en voie de décrochage.
2-Situation familiale et civile
Nicolas est né en 1996. Il habite au chemin de la vigne à Cilaos. Ses ancêtres sont issus de Bras Sec. Les parents ne sont pas mariés, c’est une famille recomposée. La mère s’appelle Marie Josée, elle est âgée de 41 ans. Elle a été victime de violence de la part de Guy né en 1964 à Cilaos, son concubin et père de Nicolas, avec usage d’une arme en juillet 2007. Il ne voit plus son père dépressif depuis l’enfance.La mère était en contrat de six mois comme agent polyvalent, elle a été scolarisée jusqu’en 3e.
3-Ego-histoire
La fratrie est composée de quatre enfants dont le dernier appartient au couple. Il est l’avant-dernier des enfants. Le beau-père entretient les sentiers de l’ONF et la famille vit à Bras Sec. Le beau-père appartient à une fratrie nombreuse dans le village. Les grands-parents restent absents des préoccupations de l’intéressé. Les parents sont lecteurs.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Il n’a pas été à la journée porte ouverte du LEP hôtelier car il fut victime d’étourdissement à cause de la chaleur. Il suit une formation à défaut. Il est trop lent en atelier et n’apprécie guère le métier. D’ailleurs il ne sait pas quel métier faire malgré son orientation au Lycée professionnel. Il fume en internat et s’expose à un risque majeur à savoir l’exclusion.
5-Les stratégies de lutte et les opportunités envisagées
Il a bénéficié du POP (Plan Ordinateur Portable) à la rentrée scolaire de 2012 et utilise l’ordinateur. Il a pris un abonnement de 20 € mensuel chez Orange et consulte internet pour visionner les match de foot-ball sur son i-phone. Il regarde la télévision. Ses lieux culturels restent la fréquentation du cinéma à Saint-Louis. Il ne fréquente aucune bibliothèque, et préfère écrire des messageries que lire. Inscrit au sein d’une 3è DP6 il a effectué plusieurs stages : au service maintenance de l’hôpital de Cilaos où il n’a fait que peindre. Il fréquente les réseaux sociaux. Il n’est pas inscrit au pôle emploi, car il n’y a pas de succursale à Cilaos.
6-Situation scolaire présente
Inscrit en CAP maintenance des bâtiments de collectivité, il obtient les félicitations au premier semestre 2012. Il suit une formation en Cap en premier vœu à défaut d’aller en cuisine. Il doit effectuer un nouveau stage en juin 2013 mais il n’a pas signé sa convention encore. S’il n’obtient pas de stage, il ne sera pas repris au lep. Les antécédents scolaires : Il vient du collège Alsace Corre. Son bulletin du troisième trimestre souligne en date du 5 juin 2012 : « ensemble hétérogène : dans certaine matière Nicolas s’en sort bien mais avec des bases parfois fragiles et dans d’autres son travail a manqué de régularité et de sérieux. » Il a suivi un cycle normal sans redoubler en section générale, et décroche son brevet des collèges. Il n’a effectué aucun séjour à l’étranger. Il obtenu son ASR. Il a effectué un stage de trois jours dans un restaurant du centre-ville de Cilaos pour la découverte des métiers. Il n’a pas obtenu son CFG. Il a obtenu son Cap de maintenance des bâtiments et de collectivité en 2014.

Informateur n° 6
Séparation, et difficultés scolaires
Savannah, en mai 2013
1-L’enquête
L’interview est réalisée en mai au domicile avec un questionnaire en français. Cet élève est désigné « illettré » par l’institution scolaire.
2-Situation familiale et civile
Dimitri est né en 1996. La mère Anielle vit au lieu-dit Savannah. Le père est né en 1964 et travaillait comme boucher à La Possession.
3-Ego-histoire
Ses parents sont divorcés depuis qu’il avait 8 ans et la mère née en 1970 ne travaille pas. Il voit parfois son père qui ne travaille plus. Il vit avec ses grands-parents. Ses ancêtres habiteraient les Hauts à Bellemène et à Bois de Nèfles. Il n’a aucun lien avec le lieu actuel. Il ne sait pas les activités de ses grands-parents. Sa marraine paternelle habite à Sans Souci. La famille du père serait de la Possession. La fratrie est composée de trois enfants nés en 89-91-60. Son frère de 20 ne travaille pas et a quitté l’école en 3ème.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Il utilise peu internet, mais possède un ordinateur par le Plan Ordinateur Portable. Son téléphone est cassé. Il répond succinctement et n’est pas capable d’argumenter. Il ne lit pas. Il n’est pas inscrit sur le réseau social Facebook.
5-Les stratégies de lutte et les opportunités envisagées
Il bénéficie de l’aide d’une sœur qui habite à Savannah. Elle est âgée de 22 ans, vit en concubinage, et par le biais du Centre de Formation des Apprentis a suivi une formation en parfum et cosmétique. Il regarde la Télékréol et écoute Kréolfm. Il apprécie les productions sur le football. Il fréquente les salles de cinéma de Cambaie et a visionné Fast and furious 6. Les aides sont assurées par la grande sœur. Il était inscrit dans un club de foot-ball mais il a cessé l’activité à cause de l’internat à Saint-Louis.
6-Situation scolaire présente
L’appréciation du 1er semestre souligne : « des difficultés. Elève sérieux mais vous devez accentuer vos efforts. Son premier vœu s’est porté sur la mécanique au Port. Affectation de troisième rang : en Cap de maintenance des bâtiments de collectivité. Aurait souhaité aller en restauration ou en froid et climatisation.
Les antécédents scolaires : Inscrit au collège Jules Solesse à Bois de Nèfles Saint-Paul : en SEGPA depuis la 6ème. Sa difficulté à la lecture a été détectée par l’école depuis en cm2 à Savannah. Il a pu effectuer un stage de deux semaines à City Sport à Savannah. Il a obtenu le Certificat de Formation Générale.

Informateur n° 7
Migration et insertion compromise
Bernica en mai 2013
1-L’enquête
Nous avons interviewé l’élève au domicile. Son comportement est coopératif. Il semble apprécier l’entretien. Il ne répond que par des bribes de mots et argumente un peu en insistant. Cet élève est désigné illettré par l’institution.
2-Situation familiale et civile
Fazalkarim est né le 23 11 1993 à Longoni (Koungou). Le père est ferrailleur né en 1961 (agent du collège), la mère est sans emploi née en 1974 (ancienne aide maternelle), elle habite en France. A Mayotte la fratrie est composée de 4 frères et 5 sœurs. Elève majeur qui habite chez sa tati née en 1977 à Longoni et qui vit au Bernica à Saint Gilles les Hauts depuis 2004. La maisonnée contient 9 personnes. Il habite au sein de ce foyer familial. Il vit avec sa tante et ses enfants.
3- Ego-histoire
Il est arrivé à La Réunion en septembre 2012. Il occupe une chambre avec son cousin.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Il cumule trois années de retard scolaire. Il a doublé sa 6ème et a intégré une SEGPA. Depuis le CM2 il a dû écrire avec la main droite car il était gaucher. Depuis la rentrée 2012, il éprouve des difficultés pour se rendre au lycée à cause des problèmes de bus. Son oncle n’est pas toujours disposé à l’emmener à la gare routière de Saint-Paul-ville en venant de Bernica et le départ du bus de la ville est tôt. L’oncle oublie et n’apprécie pas de se réveiller trop tôt.
5-Les stratégies de lutte et les opportunités envisagées
Il bénéficie d’un accès à internet. Il possède une adresse électronique et il a eu droit à un ordinateur en décembre 2012 par le biais du dispositif Plan Ordinateur Portable pour les primo-arrivants au Lep. Il a effectué un séjour d’un mois en métropole chez la famille, à Castres. Il lit le journal en français et s’intéresse aux sports. Il a intégré une équipe de foot-ball de Bellemène et faisait de la compétition. Sa tante et tutrice âgée de 35 l’aide pour les démarches administratives auprès du CMU et du lycée, pour rédiger un CV. Il bénéficie de l’aide financière de ses parents. Il se rend à la grande mosquée de Saint-Paul deux jours par semaine. Il ne fréquente pas le pôle emploi.
6-Situation scolaire présente
L’appréciation du 1er semestre 2012 déplore : « beaucoup trop d’absences pour être évalué, avertissement absence ». Il est externe et prend ses repas au bar du lycée. Il est inscrit au sein d’une section polyvalente en collectivité (métallerie, maçon, menuiserie)
Les antécédents scolaires
Il vient d’une classe 1er cap maintenance et hygiène des locaux en 2011-2012 au LEA Espérance (Dumonier : établissement scolaire privé sous contrat) à Mamoudzou. Il s’agit en réalité d’une préparation d’adaptation pré-professionnelle en bâtiment. Il n’a pu passer son 1Cap(préprofessionnel) à cause des grèves à Mayotte. Il a quitté l’établissement pour une poursuite d’étude hors du territoire. Il s’est coupé le doigt de la main gauche et a dû écrire avec l’autre main, et justifie ainsi son retard scolaire. Son premier vœu fut la mécanique. Il a effectué sa scolarité normale jusqu’en 5ème, puis il a intégré une section de découverte des métiers en 4è et 3è. Il ne possède aucun diplôme.

Informateur n° 9
Malaise social et difficultés scolaires
Les Canots en mai 2013
1-L’enquête
Elle fut réalisée au domicile à l’Etang salé les Hauts. Elève identifié par l’institution scolaire comme public « illettré ».
2-Situation familiale et civile
Sullivan habite avec ses parents, Mr et Mme Jean à l’Etang-Salé Entre-Deux. La fratrie est composée de 5 frères et sœurs nés successivement dans les années 77-79-84-90-96. Les parents sont au chômage, ils sont illettrés. Les deux sont âgés de 56 ans, ils bénéficient de contrat d’avenir et sont des agents sur le voie publique. Les ascendants sont originaires de l’Etang-Salé les Hauts. Il est né aux Canots.
3-Ego-histoire
Il a suivi la classe de cm2 à l’école élémentaire Pierre cadet sur la route des Cannots. Au Collège Simon Lucas : en 6ème f le 26/03/09, l’appréciation du trimestre signalait des résultats très insuffisants dans toutes les matières : « Fournir plus d’efforts dans le travail et dans l’attitude en classe. Avertissement pour conduite en 4ème ; Avertissement en 3ème pour conduite et travail. » Il a obtenu son Brevet informatique et internet en 2007-08. Il a obtenu son CFG (décrire l’expérience professionnelle), Inscrit en DP6, il a effectué plusieurs stages en entreprise. Il n’a pas obtenu son brevet de collège. Il a passé l’histoire des arts sur « World Trade Center », il ne sait pas les résultats. Il n’a pas obtenu l’Assr1, il s’est absenté pour enlever le plâtre dû à un accident.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Les parents ne lisent pas et n’écrivent pas. Il rencontre des problèmes en français. Nous avons assisté à un cours de français par ses encadrants sur la transposition d’une séance de vidéo en une mise en scène sur un entretien d’embauche en classe. Les résultats n’ont pas été probants et l’échec est imputable aux interférences entre le créole et le français et à la diglossie. Il ne fréquente pas la bibliothèque et maîtrise davantage le créole que le français.
5-Les stratégies de lutte et les opportunités envisagées
Il envisage de recommencer un Cap en maçonnerie car ce fut son premier vœu d’orientation. Il utilise internet, possède un ordinateur et un téléphone portable. Il a déjà effectué un séjour en métropole de 2 semaines avec ses parents en 2012, ils ont pris un gui1de. Il regarde le journal télévisé et particulièrement les émissions sur le sport. Il consulte les rubriques des « faits divers » de la presse écrite. Sa sœur âgée de 32 ans qui possède un CAP de nettoyage et deux années au lycée l’aide dans ses démarches administratives, elle joue le rôle de tutrice. Il souhaite s’inscrire en catégorie des 17 ans au club de football. Il possède un CV. Il sait utiliser les moteurs de recherche sur internet. Son lexique est familier, il argumente peu et reformule ses réponses en créole.
6-Situation scolaire présente
Il est inscrit en ébénisterie. C’est un vœu de rang 4eme au lep Roches maigres, le 11/07/2012. Son premier vœu concernait la maçonnerie. Dans le cadre de la scolarité, il effectue un stage de trois semaines en juin 2013 en ébénisterie.

Informateur n° 10
Séparation conjugale et risque de décrochage
Ligne des Bambou en mai 2013
1-L’enquête
L’interview est réalisée le 3 juin au domicile avec un questionnaire en français. Nous sommes seuls. Les réponses sont succinctes et le lexique est pauvre. Elève discret voire récalcitrant et méfiant. Il est désigné « illettré » par l’institution.
2-Situation familiale et civile
Alexandre est né en 1996. Il est né à Saint-Joseph mais ne sait pas dans quelle zone précise. Ses grands-parents maternels viennent de Trois-Bassins. Ses parents sont séparés. Sa mère, Marie Reine habite à Pierrefonds. Le père s’appelle Jean Luc et vit à la Ligne des Bambous. Le couple est parent de deux enfants nés en 95-96. Alexandre vit chez son père depuis la rentrée scolaire 2012-13. Les parents ne travaillent pas mais le père exerçait des travaux de maçonnerie avant.
3-Ego-histoire
Elève inhibé. Il refuse de verbaliser ses émotions et d’exprimer ses idées.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Il souffre de la séparation des parents et de l’absence de confort morale et financier à cause de leur chômage.
5-Les stratégies de lutte et les opportunités envisagées
Il ne lit pas les journaux mais fréquente la bibliothèque. Il lit les livres de jeunesse et de magazine. Ses parents sont lecteurs. Il écrit des messages électroniques, il possède un téléphone portable, fréquente le réseau social « Facebook » et envoie des Sms (short message service/texto/courts messages textuels). Il envisage de s’engager dans la marine et faire la cuisine. Il fréquente le cinéma à Saint-Pierre. Il pratique l’athlétisme. Il a appris à rédiger un Cv.
6-Situation scolaire présente
Il a formulé en 1er vœu : agent polyvalent de restauration au lep Paul Herman à Saint-Pierre. Fiche de candidature sur Affelnet sur place vacante 2 : vœu ébéniste le 03 07 2012. Il suit une formation en ébénisterie en première année CAP.
Les antécédents scolaires
Collège Henri Matisse Bois d’Olives, il vient d’une troisième DP6 et a effectué un stage de cuisine à la cuisine centrale de Bois d’Olives. Cette section réalise des stages de découverte toute l’année scolaire.

Informateur n° 12
Wakif élève en difficulté
Le Gol Saint-Louis en mai 2013
1-L’enquête
Elle a été réalisée en milieu professionnel où l’intéressé poursuit un stage de sensibilisation auprès d’un artisan en carrelage. Cet élève est désigné « illettré » par l’institution.
2-Situation familiale et civile
Wakif est né le 25 02 1996 à Bandraboua. Il vit Chez madame Z. née à Mayotte le 01/01/1967.
3-Ego-histoire
L’autorité parentale a été octroyée par jugement du 12/07/2010 par la justice musulmane du tribunal du Cadi de Bandraboua (Mayotte). Don d’une autorité parentale de S. née en 1998 vivant à Bandraboua à madame A. vivant à la Réunion « qui accepte sans être forcée de prendre l’autorité parentale attribuée sur cet enfant mineur. L’intéressée vit au Gol. La famille est composée de cinq enfants : 1993-1996-1998-2000-2004. L’époux est décédé en 2010. Le tuteur signe en caractères arabes.
4-Les difficultés de la vie quotidienne
Elève qui évolue au sein d’une famille nombreuse et en l’absence d’autorité paternelle et parentale.
5-Stratégie de lutte et d’insertion
Le transfert d’autorité parentale et le désir de réussir sa scolarité en suivant un cap montre l’intérêt et la motivation de son inscription en Lep. Cependant l’absence des parents biologiques et l’absence d’une autorité paternelle à son domicile compromettent son assiduité et le comportement attendu d’un élève. Son manque d’investissement durant le stage confirme son mauvais comportement en classe : il a ainsi manqué une semaine de stage pour entorse à la cheville. L’artisan est furieux et compromet la validité du stage.
6-Situation scolaire
Il vient du collège Jean Laffosse Le Gol à Saint Louis. Il est affecté en premier vœu en maintenance des bâtiments de collectivité. Inscrit en Cap, il prépare le métier d’ouvrier polyvalent. L’appréciation globale au premier semestre 2012-13 souligne : « Un comportement irrespectueux. Des résultats moyens. Changez d’attitude et mettez–vous sérieusement au travail. Avertissement conduite travail et absence. » De nombreux rapports ont été transmis au conseiller d’éducation dans les enseignements généraux. Un rapport a été établi au sujet d’une bagarre en EPS, il est rapporté que Wakif injuriait les mères de ses camarades à la rentrée 2012. Il est exclu huit jours du 27 au 31 août 2012. Les motifs de ses absences sont dus aux maladies et aux fêtes religieuses. Il a effectué sa journée défense et citoyenneté le 10 avril 2013 à Pierrefonds. Il s’est réinscrit en terminale Cap à la rentrée 2014

Les corpus écrits
Les témoignages succincts concernent la tranche d’âge des moins de vingt-ans, soient sept informateurs : 3-5-6-7-9-10-12

Informateur n° 3
Après une lecture lente et correcte des consignes de l’exercice, il l’exécute pendant deux minutes et le lit à voix haute. Il évoque un évènement sur la plage de Saint-Pierre à l’occasion d’un rendez-vous diffusé sur le réseau social et entravé par les autorités municipales durant les vacances de mars 2013. Cette manifestation fut organisée après les évènements de Boucan Canot sur le littoral ouest qui occasionnèrent la pollution de la plage.
« J’ai parti au Battle de danse de StPierre.
J’ai partisiper au Battle. J’aimer refait le Battle.
Le Battle être sur la plage de ST PIERRE tout les jands à aime le spertaque »

L’informateur éprouve des difficultés dans la compréhension et la production de texte en français. Il s’accorde plusieurs secondes avant de comprendre la consigne. L’élève rédige trois phrases. Il commet 11 fautes essentiellement des erreurs de conjugaison (j’ai parti/à aime/j’aimer refait) d’orthographe (partisiper/tout les jands/spertaque) Il ne sait pas utiliser à bon escient le verbe conjugué (le Battle être) et y substitut un infinitif. Il mélange intempestivement les majuscules et les minuscules et ne respecte point la ponctuation. Il adopte un comportement maîtrisé et reste calme. Ses réponses sont mitigées car il répond par oui ou non mais formule aussi des phrases rudimentaires.

Informateur n° 5
Deux productions ont été rédigées et lues : un paragraphe manuscrit et un message électronique sur clavier tactile. Il rechigne à écrire prétextant l’absence d’évènement, et s’interroge sur la production en français, puis écrit d’un trait un paragraphe. Enfin il lit durant 20 secondes. Nous l’avons proposé le test de compréhension et de production en français.
« Un matin de sa j’était avec mon camarade à l’interna mais lui il était précé donc il est partit prendre son bus et je suis rester tout seul à l’interna. Mais en attendant je suis partit fumer un joint à l’intérieur de la cour de l’internat mais à l’abris des regard mais quand j’avais fini de fumer je vus le surveillant quand il m’a vue et est revenue sur mes pat et il m’a poser des question pour voir si c’était moi qui avait fumer. Appres je lui ai fait des excuse et il m’a laisser une 2eme chance il m’a évité l’exclusion. »

Il nous montre une messagerie transmis à son camarade à Cilaos sur le i-phone en écrivant à la main droite :
« oui ga tt. Fason t pa a mw t a dylan sat i habiter coter mw avan mai maintenan lu habite en France donc pren po toi »

Analyse des compétences scolaires des jeunes informateurs par critère de réussite
Elève Lecture (i)Ecriture (j) Ecriture (k) Orthographe Quantité Comportement

Informateur 5
Cet informateur a réalisé la meilleure production orale et écrite. Sa lecture cursive des questions et de la production dure 20 secondes. Nous identifions la présence d’un évènement et d’une narration. Nous trouvons au sein de ses quatre phrases sur onze lignes de l’émotion et des idées. L’Informateur 5 a émis des réserves sur l’intérêt de ce test, il a rechigné à écrire en prétextant l’absence d’évènement dans sa vie, puis il s’est mis à écrire d’un seul trait. Il a lu son texte pendant vingt secondes et relate une expérience sur la déviance juvénile et ses conséquences. Sur notre insistance, il nous a montré un message électronique qu’il a envoyé à son ami avec son portable. Il préfère écrire des messages que lire les ouvrages et n’hésite pas à mélanger les langues créoles et français au cours de la rédaction de son message dans des transcriptions alphabétiques et phonétiques. Ses mots sont abrégés et sa ponctuation est défaillante.

Informateur 6
Deux facteurs d’ordre psychologique (dyslexique) et social (parents séparés au chômage) se conjuguent pour accentuer son insécurité.
« J’ai fait mon CAP college jules sollesse A bois Nelfles saint Paul /et J’ai Résu /metenen Je suis lycee pofessionnel Rocher Maigres/ Je suis dans le Atelier MBC/ on a diférente d’Atelier il y a menuiserie » Il est plus à l’aise en créole : il écrit en français : « quo men ilé » puis en créole : « quosava » en voulant écrire comment ça va ?
L’I.6 n’arrive pas à discriminer les codes écrit du français et du créole. Il est incapable d’identifier un évènement et de manier les fonctions expressives du langage. Son énoncé est peu compréhensible et sa ponctuation est problématique. Les consignes ne sont pas validées par la production de l’élève.

Informateur 7
Nous lui avons proposé le test de compréhension et de production en français.
« Je remarque cette année . été moins Bien par se que Je pren le Bus à 4h50 à St-Paul et le Bus arivi à St-Louis. A 6h00. Quant je Sort au lycée Je pren le Bus (a) 18h13 à St-Louis et j’arivi a 19h07 ou 19h15 a la gar de St-Paul. A l’école c’ette Bien mais y a vai quelqu’un d’élève qui fait( nimporte quoi/ qui parle beaucoup) reporé quoi.
Apri sa ce Bon »
Il est bilingue puisqu’il maîtrise sa langue maternelle et le français d’un migrant. Il n’écrit pas le mahorais et maîtrise insuffisamment l’expression écrite en français. Quelques mots peuvent s’écrire en mahorais avoue-t-il sur cette langue orale.
L’I.7 a produit quatre phrases sur sept lignes. Il identifie des évènements et des idées en commettant une vingtaine de fautes d’orthographe. Sa production intègre des phases narratives et des évènements. Il est bilingue puisqu’il maîtrise sa langue maternelle et le français langue étrangère. Il n’écrit pas le mahorais et maîtrise insuffisamment l’expression écrite. Sa production écrite n’intègre pas le lexique créole. Ces formes verbales sont aléatoires et incomplètes. La ponctuation est aléatoire.

Informateur n° 9
L’I.9 écrit le buste couché sur la table. Seule la lecture de sa production autorise la compréhension intégrale de son texte relatif à un accident de la route dont il a été victime.
L’informateur produit un paragraphe de sept lignes sans ponctuation et avec des ratures. Il identifie un évènement et le rapporte dans sa production avec des mots illisibles. Les verbes ne sont pas conjugués, certains unités lexicales restent incompréhensibles : « secourer, araner, courdure, un plante » pour « secouru, ramené, coudre, plâtre ». Néanmoins il n’a pas exprimé une idée ou une émotion liée à cet évènement.

Informateur 10
L’I.10 montre une attitude négative et récalcitrante. Il n’est pas coopératif et écrit, à force d’insistance et de conseil, une seule phrase sur une seule ligne de manière laconique. Sa phrase est informative. C’est pourtant le seul informateur qui, selon des propos, fréquente les bibliothèques et les magazines et les livres de jeunesse. Il montre une attitude récalcitrante à la production, et finit par écrire une seule phrase après l’avoir lue : Nous l’avons proposé le test de compréhension et de production en français.
« Aujourd’hui Je me suis levé à 5 h 15 se matin »
L’informateur est récalcitrant aux consignes et a rédigé une phrase après insistance. Il n’a pas respecté les consignes mais semble maîtriser des compétences d’écriture.

Informateur 12
Nous reproduisons un extrait de la production écrite. Nous l’avons proposé le test de compréhension et de production en français.
« Un evènement qui m a toucher quand j’ai voyager pour la première 1 foi. De m a vie. Quan je suis partie a Mayotte. J’ai pris l’avion a l’Aeroport de Rolland-garros en 2012 à la capital de la Reunion. J’ai l Avion de la compagnie air austral . en apres l avion 10h30.
On decoller a 10h45 on a ariver a l Aeroport de Djaoudzi.Pour Moi c’est une sensation de changer d’air. »
L’I.12 est situé au deuxième rang pour sa performance. Nous avons testé sa capacité à lire et à écrire la consigne. Il rédige cinq phrases sur onze lignes. Il intègre l’émotion et l’idée dans l’écriture d’un évènement et d’une narration. Il exprime sa joie de retourner dans son île et auprès de ses parents à Mayotte. Son paragraphe ne respecte pas la ponctuation. Face à l’insécurité de l’orthographe il utilise de manière systématique l’infinitif. Ses énoncés n’intègrent aucun mot créole.

Bilan et proposition
Notre étude sur les profils d’illettrés s’appuie sur sept cas situés dans trois communes de l’Ouest, du Sud et des Hauts et selon une tranche d’âge située entre 16 et 20 ans. Nous avons localisé les enquêtes effectuées durant le premier semestre 2013. L’analyse des données du terrain a permis de vérifier deux hypothèses et autorise la formulation d’une proposition. Les réponses des sept jeunes informateurs confirment bien la difficulté de l’institution scolaire à remédier aux difficultés liées à l’illettrisme et les risques importants de décrochage pour ce jeune public. Cette enquête montre surtout l’importance des nouvelles technologies de communication auprès des jeunes qui en font un usage permanent et immodéré. La culture numérique chez les jeunes illettrés se traduit par l’utilisation de l’écriture tactile dans la messagerie et les logiciels en animation musicale. Nous avons identifié un domaine approprié par le public illettré pour lequel les accompagnements au sein d’une opération de lutte et de prévention contre l’illettrisme seraient opportuns. Les logiciels qui associent l’image, le son et le texte tels que Didapage, Photostory ou Audacity, représentent des supports novateurs pour les apprentissages qu’il convient de vulgariser auprès ce public fragile.
GOVINDIN Sully PLP Lettres/histoire