Chers collègues, chers membres de la communauté éducative,
Nous avons le plaisir de vous présenter le premier numéro de notre lettre d’information dédiée à la prise en compte du handicap au sein de notre établissement.
Ce numéro est le fruit d’une réflexion initiée en 2023. Plus de 20 enseignant·e·s de notre lycée avaient alors répondu à un questionnaire sur les problématiques liées à l’inclusion des élèves en situation de handicap.
Parmi les solutions envisagées, la création d’un support de diffusion périodique s’est imposée comme une évidence. Ce rendez-vous régulier nous permettra de nous réunir autour de ces questions essentielles, malgré nos emplois du temps chargés.
À l’occasion des 20 ans de la loi du 11 février 2005, nous mettons en lumière la dyslexie, une spécificité cognitive bien connue mais souvent mal identifiée et comprise. Ce numéro inaugural marque le début d’une série visant à mieux outiller nos pratiques et à favoriser l’inclusion de tous les élèves.
Nous vous invitons chaleureusement à contribuer à ce projet en partageant vos expériences, vos défis et vos petits bonheurs. Votre participation enrichira les prochains numéros et fera vivre cette initiative collective.
Au plaisir de vous lire.
Matthieu Clément
Enseignant d’Histoire-Géographie, HGGSP, BTS … et dyslexique.
Dans ce numéro de Mai 2025:
- C’était déjà hier: création de la loi sur le handicap en France
- Vivre avec la dyslexie : témoignage
- Les ressources en ligne qui vont bien
- Les ressources au CDI
⚖️C’était déjà hier : création de la loi sur le handicap en France
En France, il y a vingt ans, une étape décisive est franchie avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Avant cette loi, l’inclusion des personnes en situation de handicap reposait essentiellement sur des initiatives individuelles : quelques établissements, quelques enseignants volontaires, mais sans véritable cadre national organisé.
Depuis déjà une trentaine d’années, plusieurs pays avaient montré la voie.
Dès les années 1970, la Suède instaure le principe de « normalisation », affirmant que chacun doit pouvoir mener une vie aussi proche que possible de celle de tous les citoyens.
En 1982, le Canada inscrit la lutte contre la discrimination dans sa Charte canadienne des droits et libertés.
Puis, dans les années 1990, les pays anglo-saxons prennent des mesures décisives : les États-Unis adoptent l’Americans with Disabilities Act en 1990, l’Australie adopte le Disability Discrimination Act en 1992, et le Royaume-Uni promulgue son Disability Discrimination Act en 1995. Ces lois interdisent la discrimination fondée sur le handicap et imposent des normes ambitieuses d’accessibilité dans la vie publique.
Ces expériences étrangères révèlent progressivement le retard français et contribuent à faire évoluer le regard porté sur le handicap.
La loi de 2005 naît ainsi de cette prise de conscience collective : elle répond aux attentes des familles, aux revendications des associations et à une exigence croissante d’égalité réelle.
Elle s’inscrit aussi dans un contexte international en mouvement : en 2006, la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées vient consolider à l’échelle mondiale ce qui commence à s’imposer en France.

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👩🏽💼 Vivre avec la dyslexie : témoignage
Comment transformer une expérience de marginalisation en force d’empathie et d’adaptation ?
Carine CAPO-CHICHI, Responsable de la Cuisine Satellite dans notre lycée, témoigne de son parcours avec la dyslexie. Diagnostiquée dès l’enfance, elle revient sur les obstacles scolaires, les stratégies qu’elle a développées pour apprendre autrement, et l’importance du soutien familial. Une parole précieuse sur les efforts invisibles, la stigmatisation, et la capacité à faire de la différence une force.
Quand et comment as-tu découvert que tu étais dyslexique ?
Je m’en souviens depuis la maternelle, en grande section. J’avais environ quatre ans. Dès la petite section, on m’avait signalée comme ayant des difficultés, mais je ne saurais pas dire exactement lesquelles — c’est flou. Je me rappelle surtout que j’étais en retrait, peu bavarde. Très vite, j’ai ressenti une sorte de phobie de l’école.
Une chose marquante aussi : j’étais gauchère, et à l’époque, ce n’était pas accepté. Ma maîtresse m’a forcée à écrire de la main droite. C’est comme ça que j’ai commencé à me sentir différente, « à côté ». Je n’y arrivais pas, ni pour les formes, ni pour les lettres. C’est à ce moment-là que les premières difficultés se sont cristallisées.
Comment ton entourage a-t-il réagi à tes difficultés ?
Dès la fin de la maternelle, mes parents ont été prévenus : le CP risquait d’être très difficile. Ma mère, qui était très littéraire, a tout de suite pris les choses en main. Elle était convaincue qu’on pourrait rattraper à la maison. Mes parents étaient très engagés.
Dans ma famille créole, ils ont même décidé d’arrêter de parler créole à la maison. Comme j’avais des difficultés à prononcer les syllabes et à développer mon vocabulaire, ils ont estimé qu’il fallait tout passer en français pour m’aider. À partir de ce moment-là, même les conversations entre adultes à la maison se faisaient en français. Avec le recul, c’était une tentative sincère de soutien, mais aussi une forme d’auto-censure linguistique imposée par la pression scolaire.
À quel moment le mot « dyslexie » a-t-il été posé ?
Au CP. J’ai commencé à apprendre à lire, et ça ne fonctionnait pas. J’étais en échec complet. Mon enseignant a suggéré à mes parents de consulter un spécialiste. C’est comme ça que je suis allée chez une orthophoniste.
Après plusieurs tests, le diagnostic est tombé : j’étais dyslexique, dysorthographique, et atteinte de dyscalculie. J’ai été suivie pendant trois ans par une orthophoniste.
Quelles idées reçues t’ont le plus marquée dans ton parcours ?
À l’école primaire, on m’a souvent dit que j’étais bête, que j’avais un problème. Les enseignants ne voulaient pas « s’emmerder » avec moi. J’étais étiquetée comme l’élève dissipée, pas concentrée, qui ne travaille pas. On ne me comprenait pas, et surtout, on ne cherchait pas à comprendre.
Et puis il y avait le poids des préjugés. En tant que fille créole, c’était encore plus dur. Mon handicap n’était pas reconnu comme tel. Il renforçait les stéréotypes racistes et sociaux. Je me suis souvent sentie enfermée dans une double stigmatisation.
Qu’aimerais-tu que les gens comprennent à propos de la dyslexie ?
C’est un vrai handicap, mais surtout, une souffrance invisible. En primaire, je n’avais aucune confiance en moi. J’étais isolée, toujours « à côté ».
Quand on parle de handicap invisible, c’est exactement ça : au départ, c’est visible, parce que tu es en difficulté. Mais dès que tu progresses, que tu compenses, que tu fais des efforts pour ressembler aux autres… alors ton handicap devient « invisible ». Et là, les gens doutent. On te dit que tu pourrais mieux faire, que tu es paresseuse. On ne voit plus tout le chemin que tu as parcouru pour arriver là. Ton travail devient invisible, lui aussi.
Penses-tu que ta dyslexie t’a permis de développer certaines compétences particulières ?
Oui, clairement. Ça a énormément développé ma sensibilité, mon côté émotionnel. On devient plus attentif à plein de choses que les autres ne perçoivent pas forcément.
C’est difficile à expliquer, mais on développe des façons de faire différentes. Pas meilleures ou moins bonnes, juste différentes. Par exemple, dans la manière de s’organiser : dans le temps, dans l’espace… On cherche d’autres chemins pour arriver au même résultat. Parfois, c’est plus long, mais parfois aussi, c’est plus rapide.
Tu peux donner un exemple concret de ce type de compétence ou de stratégie ?
Oui. Par exemple, j’étais vraiment nulle en anglais. À l’école, c’était un échec total. Je ne comprenais rien, je n’arrivais pas à suivre. Mais aujourd’hui, je parle bien anglais. Je ne suis pas bilingue, mais je peux tenir une conversation, je me débrouille.
Ma difficulté à l’époque, c’était surtout de comprendre ce que j’entendais — l’écoute en anglais. Quand on me donnait un texte avec des questions, je ne pouvais pas faire comme tout le monde. Alors j’ai commencé à me servir de ma mémoire. Je retenais certains mots-clés dans le texte, des repères. Grâce à eux, je comprenais le sens général, même si je ne pouvais pas traduire chaque phrase.
Donc, tu utilisais une technique de mémorisation sélective pour contourner la difficulté ?
Exactement. Je faisais appel à ma mémoire visuelle et auditive. Je ne comprenais pas forcément chaque mot, mais j’arrivais à capter l’idée principale. À force, j’ai développé une sorte de sur-attention à certains mots. Je repérais les mots importants, les mots pivots. Et à partir de là, je reconstruisais le sens du texte.
C’est une vraie stratégie de contournement. Et au final, ça fonctionne. Ce n’est pas la méthode qu’on nous enseigne à l’école, mais elle m’a permis d’avancer.
As-tu déjà eu l’occasion de transmettre ton expérience à tes collègues ? Est-ce que tu en parles librement aujourd’hui ?
Non, pas au début. Ici au lycée, je préférais cacher tout ça. Je pensais que ce n’était pas compatible avec l’image que je voulais donner de moi, avec mes compétences.
Mais à un moment, ce n’était plus possible. Je faisais trop d’erreurs : des fautes de syntaxe, d’orthographe, de calcul… Je me suis retrouvée obligée d’en parler. C’était trop compliqué de faire semblant, de tout masquer.
Et comment ça a été reçu, quand tu as commencé à en parler ?
Très bien, on m’a mise à l’aise tout de suite. Aujourd’hui, c’est plus simple, j’ai trouvé des outils qui m’aident à mieux vivre avec tout ça. Par exemple, je n’en parle pas souvent, mais j’utilise beaucoup les livres audio. J’écoute les livres plutôt que de les lire. Et j’ai remarqué que je comprends très bien même quand j’écoute en vitesse accélérée. Sur YouTube, par exemple, je mets souvent les vidéos en 1,75x : ça ne me gêne pas du tout. Au contraire, ça me permet de rester concentrée. C’est devenu une vraie manière d’apprendre pour moi, plus intuitive.
As-tu rencontré des personnes qui t’ont vraiment soutenue dans ton parcours ? Des « tuteurs », comme on pourrait dire — des personnes qui t’ont accompagnée sans te juger ?
Oui, mais pas du côté de l’Éducation nationale. Là, je dirais : zéro. Aucun soutien. Il n’y avait rien, aucune prise en charge, aucune compréhension.
Mais heureusement, j’ai eu ma famille. Mes proches ont beaucoup relativisé. Et surtout, ma mère. Elle a été ma première tutrice, au sens fort du terme. Elle s’est battue pour moi. Elle m’a aidée à y croire, à ne pas abandonner.
C’est grâce à elle que j’ai tenu. Elle a toujours cru en mes capacités, même quand l’école ne les voyait pas. Mes parents savaient que j’étais intelligente, mais différente. J’étais très à l’aise dans les activités artistiques : je faisais de la danse classique, mais aussi africaine, de la peinture, de la couture et de la pâtisserie bien sûr. Mes parents ont vu ça et ils ne m’ont jamais lâchée.
Donc il y a eu une forme de résistance affective et créative face à l’exclusion scolaire.
Oui, exactement. Ce que l’école n’a pas su me donner, l’amour de mes parents l’a remplacé. Et ça, ça change tout.
Quel a été par la suite ton parcours professionnel ?
Après la troisième, j’ai fait un Bac Pro en hôtellerie. Là, c’était différent : je faisais ce que j’aimais, et ça a tout changé. J’étais toujours dans les premières de la classe, enfin ! Je suis même devenue déléguée du lycée. Ce sont de très belles années pour moi, parce que je me sentais enfin à ma place.
Après le Bac Pro, j’ai continué à tracer mon chemin : à 21 ans, j’ai passé le concours pour entrer dans la fonction publique. J’avais déjà eu des expériences dans différents établissements, j’ai voyagé et travaillé en métropole, notamment dans des Relais & Châteaux en Alsace. Ces années m’ont permis de développer une vraie autonomie, un goût du travail bien fait, et surtout, une grande adaptabilité.
Quel message aimerais-tu adresser aux professeurs ou formateurs qui accompagnent des personnes dyslexiques ? Et à ceux qui, justement, ne t’ont pas aidée ?
Je leur dirais d’abord de ne pas mettre d’a priori sur les gens. Ni à cause de leur origine, ni de leur culture, ni de leur façon d’être. Il ne faut pas juger une personne à partir de son comportement ou de ses blocages psychiques. Il faut s’intéresser à l’être humain dans son ensemble.
C’est ça qui fait la différence.
Donc un respect premier, une curiosité bienveillante, et une vraie écoute de la personne.
Exactement. C’est comme ça qu’on aide. C’est comme ça qu’on accompagne.
Quel conseil donnerais-tu à une personne qui vient de découvrir qu’elle est dyslexique ?
Surtout : ne te décourage pas. Garde confiance en toi. Persévère.
Et appuie-toi sur ce que tu aimes. Quand tu travailles sur quelque chose que tu aimes, c’est plus facile à retenir, plus facile à structurer. Il faut commencer par là : par ce qui donne envie. Mais surtout : ne perds jamais confiance en toi.
Tu as évoqué les livres audio. As-tu d’autres outils, applications ou habitudes qui t’aident au quotidien à mieux vivre la dyslexie ?
Oui. La chose la plus importante, c’est de ne jamais arrêter d’apprendre.
Il faut nourrir sa curiosité. Regarder des documentaires, écouter des émissions, découvrir ce qu’on aime. Peu importe que ce soit l’histoire-géo, la musique, la science… il faut écouter encore et encore. Moi, c’est comme ça que j’ai développé des passions. Et à force d’écouter, ma mémoire a progressé, mon vocabulaire s’est enrichi. Ce n’est pas grâce à un cahier d’exercices, c’est grâce à ma curiosité.
Pourquoi les personnes concernées par un handicap invisible sont-elles, selon toi, des forces de transformation sociale ?
Parce que vivre avec un handicap invisible, comme la dyslexie, t’oblige à te construire autrement. Tu développes des stratégies, tu t’adaptes en permanence, et surtout, tu ressens très tôt ce que c’est que d’être mis à l’écart.
Mais justement, vivre avec un handicap comme la dyslexie, ça développe en toi une forme de tolérance. Une ouverture aux autres. Ça te rend plus empathique, parce que tu comprends ce que c’est que d’être différent. Et ça, c’est une force.
Entretien réalisé par Matthieu CLÉMENT– avril 2025
📚Les ressources en ligne qui vont bien🤗
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📖Les ressources au CDI
- Kochel, Jeanne-Marie. La dyslexie en 100 questions-réponses. Ellipses, 2015.
- 100 idées pour accompagner un élève dys équipé d’un cartable numérique. Tom Pousse, 2018.
- Faure, Guillemette et Mikankey. Dys & célèbres: comment la dyslexie peut rendre plus fort 24 personnalités inspirantes. Casterman, 2022.